Aux sources de l’Ordre de Sion
et de la Fontaine

Liber Tobiae (partie IV)


Part I - Remarques sur un feuillet du Livre de Tobie, mis en vente chez Drouot
Part II - Révélation d’un manuscrit clé du dossier Saunière et des archives Hautpoul
Part III - Archives d'Hautpoul ou les "comptes" de la Fontaine
Part V - Les secrets de la Terre Rouge
Part VI - Le coffre scellé des Hautpoul

Une charte de l’Ordre de Sion véritable

 

Nous voici arrivés à la troisième vente[1] de documents chez Drouot. Rien d’exceptionnel au catalogue, pour notre affaire. Quoique, en cherchant bien ! En toute sérénité, depuis plusieurs semaines nous avons collecté et vérifié une grande masse d’informations qu’il nous faut à présent exposer devant vous.

Cette fois le vendeur se dessaisit de plusieurs titres médiévaux[2] dont une bulle de l’Ordre du Saint-Sépulcre rédigée à Sens et datée du 3 janvier 1163 (1164) ayant attiré notre attention dès le 29 mai dernier (première vente). Ce parchemin est le lot N°1 inscrit au catalogue comme suit : « Bulle ‘si apostolicæ sedisdu pape Alexandre III par laquelle il prend sous la protection du Siège Apostolique les frères du Saint-Sépulcre, vivant sous la règle de Saint-Augustin, ainsi que tous leurs biens situés en Terre sainte, au Liban, en Italie, en Provence, dans le Languedoc, dans l’Aquitaine & en Espagne. Sens, 3 janvier 1163 [1164].

Il s’agit encore d’un document faisant partie de la liasse dans laquelle se trouvait le « Liber Tobiae » et les archives de Bugarach. Nous en concluons que nous sommes en présence du même vendeur.

Bulle (ou privilège) d'Alexandre III en faveur
de l'Ordre du Saint-Sépulcre, 1163/1164 (*)

La vente de ces quelques manuscrits complète la session de trois autres fonds : la bibliothèque des marquis de Forbin, la bibliothèque équestre de Roger Debut de Roseville et un reliquat de la bibliothèque des marquis de Oilliamson déjà présentée le 16 octobre.

L’acte d’Alexandre III nous intéresse au premier chef, car une charte, dite authentique, de même type datée de 1337 et 1178 a été présentée par H. Lincoln et ses deux co-auteurs dans leur livre le Message. Apport du Prieuré de Sion, cette charte devait prouver son antiquité en tant qu’Ordre de Sion. Or, le véritable Ordre de Sion, ou Ordre du Mont Sion[3], est l’Ordre du Saint-Sépulcre fondé par Godefroy de Bouillon en 1099.

Les premières ventes ont soulevé de nombreuses questions quant à l’intégrité du vendeur. Un commentaire ancien complémentaire du Liber Tobiae, impliquant ostensiblement Rennes-le-Château, reste suspect. Tout un tas d’archives de la famille d’Hautpoul et autres familles du diocèse d’Alet nous guide vers une piste étrange. Alors, quand une charte de l’Ordre du Saint-Sépulcre atterrit parmi ces lots, nos voyants lumineux s’allument et passent au rouge. Et quand on nous explique d’où elle provient, nos sirènes d’alerte hurlent à l’unisson.

En effet, selon les dires de l’expert, la « bulle du pape Alexandre III (1164), comportant de précieux éléments autographes, confirme les possessions des frères du Saint-Sépulcre de Jérusalem en Terre sainte, en Italie, en Provence, dans les Aquitaines & en Espagne. Cette bulle est restée jusqu’à nos jours inconnue des historiens & paléographes : seules les personnes qui l’avaient punaisée sur le papier peint de leur salon avaient pu en bénéficier, mais sans en comprendre le sens ni en saisir l’importance. »

 

Manifestation de la vérité

 

Deux détails d’importance nous ont fait sourciller immédiatement : une bulle inconnue des historiens, punaisée sur un mur. Cette fois, il n’y a plus de doute : les propos rapportés par l’expert, étant l’expression du vendeur, ne reflètent pas la totale vérité. Ou alors le vendeur, sans en avoir conscience, est l'héritier d'une vielle tradition propagée par une société discrète, pour ne pas dire plus, à qui appartenaient les documents.
Un œil averti remarquera les quelques traces de rouille laissées par les punaises à chaque coin du document. Toutefois, nous sommes en mesure de prouver que ce sont des affirmations tirées du bulletin de la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes de 1958. En voici la preuve extraite de l’article de Georges Tessier publié dans le bulletin n°116:

« Le 15 octobre 1954, un conseiller municipal de Saint-Brieuc soumettait à notre regretté confrère François Merlet, alors archiviste en chef du département des Côtes- du-Nord, un parchemin portant le texte d'un privilège délivré en faveur du Saint-Sépulcre de Jérusalem par le pape Alexandre III et daté de Sens le 3 janvier 1164. Il l'avait découvert, fixé sur un mur, dans le logement d'un de ses concitoyens. Celui-ci, ouvrier peintre, aurait été chargé en 1921 de brûler un lot important d'anciens documents à l'occasion de travaux exécutés dans un immeuble. La bulle d'Alexandre III ayant échappé aux flammes, il l'avait conservée par devers lui. » Rocambolesque histoire !

Rota pontificale

Le constat est irrévocable. Premièrement, comme pour la franchise de Bugarach, la bulle rédigée à Sens était connue des historiens, contrairement aux déclarations de l’expert. Deuxièmement, on ne peut mettre sur le fait du hasard que les deux pièces furent découvertes accrochées sur un mur. Troisièmement, la bulle mise en vente cette année et le privilège papal retrouvé en 1954 semblent être le même document. Outre les dates, les dimensions du parchemin données par l’expert correspondent (cf. catalogue de vente, à 5 mm près). Toutes les mentions finales, la rota (ci-contre), le Bene Valette et les signatures, sont identiques. La charte de 1178, parue dans Le Message, ne donne aucune de ces indications, ou tout du moins la rota pontificale n’y figure pas. Cela laisse présager une manipulation de document sans rapport avec Alexandre III par les auteurs du Message ou par leur pourvoyeur d’archives.

Ces mentions n’ont rien d’ésotérique à première vue. La rota est un double cercle contenant le nom du souverain pontife, instituée par le pape Léon IX. Dans le cas présent nous y lirons « Alexender III ». Le terme Bene valete est une formule de salutation qui figurait déjà sur les diplômes mérovingiens et sur les bulles pontificales de la même époque.

Nos nouveaux indices laissent à penser que le vendeur serait un descendant de l’ouvrier peintre. Mais, même avec des traces de punaises, tout cela ne colle pas avec les autres documents vendus aux enchères chez Drouot, en particulier la franchise de Bugarach qui, elle aussi, fit l’objet d’une publication en 1840 (voir partie III). Nous disions précédemment que ce fonds d’archives devait appartenir à un érudit local avant d’échoir dans l’escarcelle d’un organisme, pour le moment non identifié. Nous le maintenons.

Beaucoup de questions s’entrechoquent dans ce nouvel imbroglio. Georges Tessier déclare : «François Merlet avait de sérieux motifs[4] de rajeunir ‘l'invention’ de plusieurs années. Quoi qu'il en soit, notre confrère obtint du propriétaire qu'il se dessaisit du parchemin et qu'il en fit don aux Archives nationales où il est aujourd'hui conservé sous la cote AB XIX 3197, dossier 1». Il ajoute : «Le document a figuré à l'exposition organisée au Palais Soubise en février 1957, Huit siècles d'histoire de France. Nouvelles acquisitions des Archives Nationales (1950-1956), n°2 du catalogue».

Or, c’est là que le bât blesse, car, à ce jour le privilège d’Alexandre III, en faveur du Saint-Sépulcre, n’apparaît plus sous cette cote dans les fonds généraux des Archives Nationales.

Sans avoir recours aux suspicions habituelles, pourrait-on avoir affaire à une copie ? C’est bien possible ! Selon l’expert la bulle fut « conservée jadis en Espagne, puis dans le sud de la France ». Après un résumé[5] détaillé de la charte de Saint-Brieuc, mis à disposition du lecteur dans le FANUM I, Georges Tessier poursuit : 

« Le texte de ce privilège a été publié en 1928 par Paul Kehr d'après une copie conservée à l'Archivo historico nacional de Madrid avec d'autres pièces concernant le Saint-Sépulcre de Calatayud. Il nous la présente comme exécutée au XIIe ou au XIIIe siècle. Les deux copies, celle de Saint-Brieuc et celle de Madrid, sont étroitement apparentées. »

 

Un Prieuré en Espagne

 

La bulle vendue chez Drouot deviendrait alors une copie supplémentaire à moins que cela ne soit l’original. Néanmoins, sa découverte ou le vecteur par lequel le vendeur l’a acquise reste un point d’achoppement. On ne peut concevoir que deux parchemins identiques aient été découverts de la même manière par des acteurs différents : punaisés sur un mur. C’est pourquoi, nous avons la certitude maintenant que le vendeur n’est pas très clair dans ses agissements et peut-être même vis-à-vis de l’histoire de Rennes-le-Château.


Fort de tous ces renseignements, dès le 10 décembre nous avons à nouveau contacté l'expert pour lui signaler notre découverte. Celui-ci en fut assez surpris et de nous informer en ces termes dix jours plus tard : « C'est très intéressant, le vendeur a décidé de la donner (N.D.L.R : la bulle) aux Archives nationales pour compléter le fonds "Saint Sépulchre". »

Les actes d’Alexandre III en faveur du Saint-Sépulcre ne sont pas légion. A cela G. Tessier répond :

«On connaît en tout douze bulles d'Alexandre III expédiées en faveur du Saint-Sépulcre, six lettres et six privilèges. Les premières sont toutes transcrites dans le cartulaire de l'établissement qui nous a aussi transmis le texte de quatre privilèges.

Les deux seuls qui n'aient pas été insérés dans le recueil sont celui qui vient d'être présenté et un autre privilège, lui aussi publié par Paul Kehr, deux ans avant le précédent, et, comme lui, d'après une copie ancienne qu'on nous dit être du XIIe siècle, donc à peu près contemporaine de l'original. Elle appartenait au chartrier de la collégiale Sainte-Anne de Barcelone et était conservée avec la majeure partie de celui-ci au Museo arqueologico diocesano annexé au séminaire de la même ville. »

Barcelone ! Une autre cité « secrète » du Prieuré de Sion. Nous savons maintenant qu’il existe pas moins de onze groupes prétendant au titre de Prieuré de Sion[6]. Le Prieuré de Sion de Barcelone n’est pas des moins actifs dans le sud de la France, dans l’Aude et les Pyrénées Orientales notamment. Les indices sont toutefois assez maigres pour le voir jouer un rôle quelconque à ce niveau, dans l’immédiat. Mais il ne faut pas l’écarter puisque d’une part la bulle fut « conservée jadis en Espagne, puis dans le sud de la France » et d’autre part des archives du Prieuré de P. Plantard auraient été transférées à Barcelone. Quelles archives ? Sans avoir de lien avec le Prieuré en 1958, G. Tessier nous prévient incidemment :

« C'est là qu'intervient le privilège B[7] qui est à l'origine de la présente recherche. Il nous apprend, on se le rappelle, qu'en 1164 des frères du Saint-Sépulcre étaient installés à Barcelone, près des murs de la cité. De deux choses l'une. Ou la clause intéressant l'établissement des chanoines à Barcelone est sincère et on en conclura que le futur monastère de Sainte-Anne était encore en 1164 quelque chose de fort peu important, aucune église n'étant d'ailleurs mentionnée dans le privilège comme se trouvant dans la ville même. Tout au plus la communauté aura-t-elle la permission d'avoir un oratoire, si elle comprend au moins quatre frères. Ou bien la clause est interpolée et cela signifierait qu'au moment de l'interpolation, de toute façon très ancienne, les chanoines n'avaient aucune donnée leur permettant de faire remonter bien haut l'origine de leur établissement à Barcelone et de lui donner une apparence de nature à frapper les imaginations.»

Cliquez pour télécharger le document complet,
Au pied des Montagnes, L. Séché, 1872, dans le FANUM II

A l’instar de la charte de 1337, copie de celle de 1178, publiée dans le Message, le privilège de 1164 aurait pu servir les intérêts du Prieuré de Barcelone afin de la légitimer. Si cette hypothèse se confirmait, la manipulation est incontestable.

On trouve toujours curieux qu’une telle manne documentaire apparaisse à ce moment de l’histoire par le truchement d’un scénario tant « lupinien » que rocambolesque. Nous le pressentions depuis longtemps, ça devait arriver. Malheureusement, le testament d'Hautpoul nous faisant défaut n'est toujours pas en vue. Nous n'y perdrons rien au change.

Il vous sera fort utile de lire le document complet que nous avons remis au jour. L’article de G. Tessier de 1958 pourrait en effet apporter la preuve d’une étroite relation entre la bulle vendue chez Drouot et un certain Prieuré de Sion dit espagnol. Selon l’auteur : « Depuis la guerre civile le fonds de Sainte-Anne (n.d.l.r. : de Barcelone) a quitté le séminaire pour l'évêché. La copie qui a servi à Paul Kehr ou à son mandataire n'a pas été retrouvée ». Les jalons sont posés. Et PAN ! Sur le B.E.C, une fois encore, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes oblige.

Du livre de Tobie et son commentaire ancien aux archives des familles du Razès et les écrits de l’Ordre du Saint-Sépulcre, où allons nous exactement ? Vers les contreforts des Pyrénées indubitablement où, sous l’Ancien Régime, certains barons locaux n’hésitaient pas à frapper d’interdit quelques places fortes protégées.

Trouvera-t-on quelques réponses dans un poème de Léon Séché, écrit à Rennes-les-Bains vers 1870 où il retrace curieusement, Au pied des Montagnes[8] des Corbières, un voyage imaginaire de Tobie et de l’ange Raphaël ?

...Dans ces jours primitifs où le Dieu d'Israël

Couronnait Salomon pour rendre ses oracles,

Et, pour guider Tobie, envoyait Raphaël.

J'aime vos pics altiers, vos neiges, vos ravines,

Vos gouffres tourmentés où grondent les torrents,

Et vos quartiers croulants, gigantesques ruines...

 

Lire la suite... dans les Dossiers Inédits du Mercure de Gaillon (FANUM II)


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Th. Garnier


Remerciements particuliers à : A-M Lecordier

 

© 06 décembre 2009 - M2G éditions. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.


[1] Du 22 décembre 2009.

[2] Voyez le catalogue de vente Lafon.

[3] Cartulaire de l’Ordre du Saint-Sépulcre, par E. de Rozière, 1849, p.269.

[4] N.D.L.R : l’auteur ne s’explique pas sur ce point.

[5] Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, n°116, 1958, les débuts de l’Ordre du Saint-Sépulcre en Espagne, à propos de deux privilèges d’Alexandre III.

[6] Voir, Codex Rhedae, DVD, M2G Editions, 2008.

[7] Privilège ou bulle trouvée à Saint-Brieuc en 1954.

[8] Poème dédié à E. Renan, par Léon Séché, 1872.