Part III - Pistes et traces écrites
Puisqu’il est avéré qu’un grand nombre de documents
relatifs à l’affaire Lobineau[1] sont faux ou, pour ceux s’approchant plus
près de la vérité, ont été maquillés, il est de bon augure de regarder d’un peu
plus près le manuscrit de l'abbé Delmas, ancien curé des Bains-de-Rennes vers 1709. Parmi les auteurs et historiens de Rennes-les-Bains, il est de ceux qui ont vécu dans la connaissance de
certains mystères dont il est toujours imprudent d’évoquer l’origine. Du Lys ou de l’Arène Blanche Cet ancien texte est mentionné à plusieurs reprises
dans les documents apocryphes du Prieuré de Sion. En 1967, Philippe de
Chérisey, sous le pseudonyme de Nicolas Beaucéan, le
cite dans sa plaquette au Pays de la Reine Blanche tout en indiquant que
le manuscrit est perdu. Le croyait-il vraiment ? Au moins dans cet
opuscule, il donnait des informations utiles quant au contenu de l’œuvre de Delmas, pour le peu qu’il en savait à l’époque. A mille années lumière de là, nous avons la brochure
du Cercle d’Ulysse, toujours du même auteur, mais qui signe en 1977
cette fois sous le pseudo de Jean Delaude. La prose
du sieur Delaude promettait des révélations et la
véritable histoire de l’or de Rennes. C’est ici que l’on trouve les premiers
délires de Ph. de Chérisey sur ses prétendues
falsifications de parchemins. Des délires prouvant l’étendue du canular à tous
les niveaux car le manuscrit Delmas n’échappe pas au
broyage intellectuel. Dans le Cercle d’Ulysse, Chérisey affirmait que
le tombeau d’Arques, mis en valeur par Nicolas Poussin, nous dit-on, y était
nommé. Or, tout est faux et simple à vérifier. Le texte est disponible un peu
partout sur la Toile. A aucun moment le tombeau de Poussin et sa citation ET IN ARCADIA EGO
n’y sont notifiés. Delmas parle uniquement de
fragments de présumées sépultures romaines attribuées à un certain Pompeius Quartus, reconnu par un
certain archéologue comme étant Cneuis Pompée Magnus,
ami mais éternel rival de Jules César. Sans y accorder de crédit, l’abbé Delmas
évoque l’hypothèse du passage du grand Pompée par le Razès lors de son voyage
vers l’Espagne vers 78 av. J.-C. Son arrivée à Narbonne est pourtant un fait
historique rappelé par Cicéron et Salluste dans son Histoire de la
République Romaine : « Il pénétra par là (n.d.l.a :
les Alpes) dans les Gaules après avoir écarté ou taillé en pièces quelques
troupes de Barbares qui s’opposaient à son passage ; continua sa marche
dans le pays des Allobroges & dans la province & arriva à Narbonne, où
l’assemblée des Gaulois, convoquée par Fonteius,
gouverneur de la province, le vint trouver. Il y passa l’hiver, occupé avec eux
à régler diverses choses nécessaires à son expédition[2] ». Malgré les multiples reproductions typographiques
accessibles sur Internet, pour se faire une véritable idée de l’œuvre de l’abbé
Delmas, il faut lire l’original. Seule n’a de valeur
la substantifique moelle émise par Delmas. Là a
commencé pour nous le parcours du combattant pour la recouvrer. De main en main et aujourd’hui encore Après la mort du curé Delmas,
le cheminement du manuscrit a pris des détours curieux. Par deux fois, il est
signalé dans le bulletin des Antiquaires de France : 1° - Extrait du premier rapport :
Sur les travaux de la Société Royale des Antiquaires de
France, lu à la séance publique du 30 mai 1819, par M. BOTTIN, chevalier de
l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur, secrétaire général. (Mémoires et
dissertations sur les antiquités nationales et étrangères par la Société des antiquaires de France) Sur
les antiquités romaines et grecques : ![]() 2°
- Extrait du second rapport :
Sur les travaux de la Société Royale des Antiquaires de
France, lu à la séance publique du 2 juillet 1820, par M. BOTTIN, chevalier de
l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur, Secrétaire Général (Mémoires et dissertations sur les antiquités
nationales et étrangères, par la Société des antiquaires de France). ÉTABLISSEMENTS
DE BAINS.— Les anciens croyaient, a dit Pline, qu'une
divinité tutélaire et amie des hommes présidait à la garde de chaque source
d'eau minérale; aussi la France seule nous offre-t-elle des monuments
multipliés de l'attention qu'ils ont toujours donnée à ces sources. Dans votre
dernière séance publique, il vous a été parlé d'un manuscrit autographe de M. Delmas sur les bains de Rennes, département de l'Aude. Ce
manuscrit est original, et paraît avoir fourni une bonne partie des notions
archéologiques du Journal des observations médicales faites aux bains de
Rennes, dans les années 1816, 1817 et 1818, qui a été
imprimé à Toulouse en 1819, et dont l'hommage vous a été fait par M- Dumège. Les bains de Rennes, connus jadis sous le nom de
bains de Montferrand, sont situés au département de l'Aude, à 15 kilomètres de
Limoux. On y trouve cinq sources d'eau minérale, dont trois thermales, de 32 à
40 degrés, et deux froides. Ces bains paraissent avoir été fréquentés, même
avant les Romains, puisqu'on y a trouvé plusieurs médailles celtiques, celtibériennes. Le territoire de la commune offre partout
des traces de la munificence romaine, des inscriptions et une infinité de
médailles. La tradition porte que, dans les environs des bains, il a existé
jadis une ville, dont on ignore aujourd'hui jusqu'à la position. Quelques-uns
voudraient, la fixer au village même des bains de Rennes, et ils se fondent sur
les médailles et sur les traces d'antiquité qu'on trouve en cet endroit, et
aussi sur l'infinité d'urnes de terre argileuse qu'on y a trouvées renfermant
des cendres et des morceaux d'os mal brûlés. Le
pasteur antiquaire luttant, autant que ses facultés le lui permettaient, avec
la concurrence désespérante des impitoyables chaudronniers, avait fait une
collection magnifique d'antiquités qu'après sa mort, ses héritiers vendirent à
un moine de Sorèze. Le catalogue que l'éditeur du
journal des observations médicales en a publié est tout ce qui nous reste de
celle précieuse collection ; mais au moins nous avons la satisfaisante
certitude que la famille Fleury, propriétaire actuelle de l'établissement des
bains, en a commencé une nouvelle, qu'on rencontre déjà des médailles celtibériennes, romaines consulaires, romaines impériales
de Jules-César, Auguste , Tibère, Caligula, Claude,
Nerva , Vespasien , Domitien, Trajan , Adrien, Antonin Pie, Marc-Aurèle, Alex.
Sévère, Valérien, Constantin; MM. Delmas et Sage en
avaient déjà cité de Commode, des Gordiens, de Gallien, de Dioclétien, de
Maximien, de Tetricus, et M. Dumège de Toulouse, qui
a le premier donné avis de cette collection naissante, s'est chargé de classer
les objets qui la composent; il se trouve quelquefois dans les trois métaux des
revers rares et recherchés. A côté de ces médaillés, et de beaucoup de monnaies
anciennes qui annoncent que, dans le Moyen Âge, ces bains de Rennes n'ont pas cessé
d'être fréquentés, le musée naissant de l'établissement offre déjà des urnes en
terre cuite, semblables à celles qu'on trouve dans toute l'Italie et dans la
Gaule, des substructures de bâtiments, des restes de mosaïque, des vases et
quelques petits meubles presque tous romains, tels qu'un style, des fibules en
bronze, une flûte, etc. Il est à désirer que, dans les numéros subséquents du
Journal médical des bains de Rennes, quelques pages soient consacrées à tenir
les antiquaires au courant des accroissements que ne peut manquer de recevoir
cette intéressante collection.
Les affirmations du premier extrait du bulletin sont
en contradiction avec la réponse, à notre requête du 22 juin 2006, faite à la S.N.A.F le 30 novembre suivant. Cette dernière nous informa
qu’elle n’était jamais entrée en possession du manuscrit de l’abbé Delmas[3] et ce
que nous savions déjà : le Dr Paul Courrent n’a
jamais été membre de cette honorable société d’érudits. Cette fin de non
recevoir nous incita à creuser en profondeur l'histoire de ce fameux manuscrit Delmas. A ce moment de notre enquête, nous découvrons
finalement le manuscrit aux Archives Nationales[4]. Il
s’agit bien de celui qui apparaît au début du XIXe
siècle et dont le texte, souvent mal retranscrit, circule maintenant partout
sur Internet. Il n’a pas été directement rédigé pas le curé de bains de Rennes.
En effet, dans l’introduction nous lisons en toute lettre : « Ce
mémoire a été fait en 1709, par M. Delmas qui a été
curé dudit lieu pendant 60 ans. Quoiqu'il ne soit pas signé, il est original,
et écrit de la propre main dudit Delmas ». L’écriture
de ce chapeau étant identique à celle du dit manuscrit, il s’agit donc d'une retranscription de
l’original. Nous ignorions, jusqu’à présent, par quel vecteur le
premier manuscrit de l’abbé Delmas était sorti des
ténèbres suivant son décès, soit entre 1709 et 1800. Or, en fouinant un peu,
nous avons fini par retrouver sa trace dans la revue du Cabinet Historique[5]. Cette notice
manuscrite était enregistrée, avec une grande quantité de documents d'archives
de dom Vic et Vaissette[6], dans
le CATALOGUE GÉNÉRAL DES DOCUMENTS
ET MANUSCRITS RELATIFS A L'HISTOIRE DE l'ANCIENNE FRANCE de la Bibliothèque Impériale vers 1856, Collection du
Languedoc. N°2705 - Tome XII
-Topographie - doc n°3. Ces archives révèlent toute
une série de documents sur le diocèse d’Alet dont la
notice sur la Bains de Montferran. Le titre exact est
« Notice sur les Bains de Montferran - Diocèse
d'Alet, cant. de
Castelnaudary ». Le document est ainsi décrit : 8 rôles, folio 29. Les
folios les Bains de Montferran sont ceux allant de 29
à 36.
Entrés en possession de ces références, il nous
fallait absolument vérifier le contenu du tome XII des archives manuscrites de
dom Vic et Vaissette. Notre démarche ne se fit pas sans
déconvenue. Entreprise depuis 2007, notre première demande d’informations
auprès des services de la BnF ne put
aboutir favorablement. Malgré trois courriers explicatifs détaillés, nous nous
sommes heurtés à un mur. Après ces multiples tentatives de recherches,
références à l’appui, et des demandes réitérées, le bibliothécaire en charge de
notre dossier ne trouva jamais les dites archives manuscrites de nos deux bénédictins: le document sur les Bains de Montferran était soi-disant introuvable dans la dite
collection. La revue dans laquelle le dépouillement de tous les
papiers de dom Vic et Vaissette a été publié en 1856
était pourtant bien claire. Mais nous sommes tenaces. Avec l’aide de notre
correspondante à Paris, A. de Varax, que nous
remercions, nous avons eu gain de cause. En suivant exactement nos indications,
les mêmes fournies aux bibliothécaires de la BnF,
elle a fini par dénicher les notes manuscrites tant désirées,
« cachées » à tort ou à raison au fin fond des rayonnages de la BnF « Richelieu ». La lecture de ces pièces est très instructive. La
vérification aura donc porté ses fruits. Nous pouvons maintenant affirmer
qu’une copie de la Notice sur les Bains de Montferran
se trouve dans les archives de dom Vic et dom Vaissette,
si ce n’est l’original de l’abbé Delmas. Et, si c'est
bien le cas, les premiers a en avoir eu connaissance sont
immanquablement les abbés Vic et Vaissette. Ils
l'auront ensuite recopié vers 1759.
En résumé, il existe deux copies du Ms Delmas : une à la BnF
Richelieu, la seconde aux Archives Nationales. Au milieu du XVIIIe
siècle, le manuscrit original de l’abbé Delmas est
arrivé dans les archives de Vic et Vaissette. Ces
derniers en firent une copie autographe. Ils conservèrent l'original que nous
avons découvert à la BnF, tome XII de la collection
Languedoc - Bénédictins. Dès 1759, la copie autographe de nos deux bénédictins
circulera dans les milieux érudits du Languedoc. Julia de Fontenelle, dont nous
reparlerons dans la troisième partie, auteur d’un ouvrage sur les eaux thermales
de Rennes-les-Bains fit la première communication de cette copie. Puis, c’est
au tour de l’Académie Celtique fondée par Alexandre Lenoir. Il ira ensuite aux
archives de l’Aude puis enfin aux Archives Nationales où nous l’avons trouvé. Nous avons acquis la certitude que le manuscrit de la BnF était l’original de l’abbé Delmas
et la copie des A.N. une retranscription de dom Vic
et Vaissette. Notre affirmation n’est pas gratuite ou
une simple vue de l’esprit. Une analyse graphologique des deux manuscrits
prouve nos allégations. -
Premièrement, la graphie de tous
les documents manuscrits rappelle celle du XVIIIe
siècle. -
Deuxièmement,
les deux notices sur les Bains sont de mains différentes. Les notes manuscrites
des bénédictins, références nécessaires pour effectuer toute comparaison,
témoignent d’une nette inégalité entre l’écriture de leur notice sur les Bains-de-Rennes et celle de leurs diverses notes sur les
paroisses du diocèse d’Alet. Ils ne sont pas les
auteurs de la notice insérée dans leurs archives. -
Troisièmement,
ces mêmes notes nous révèlent l’auteur de la copie des A.N.
Cette copie (qui a beaucoup voyagé) est une resucée autographe écrite par dom
Vic ou dom Vaissette. -
Quatrièmement,
si la notice des A.N mentionne l’abbé Delmas comme auteur d’origine, la notice de la BnF ne peut-être que de lui, CQFD ! Voilà une brèche
chronologique comblée. Six pieds sous terre Dans les années 1930, le docteur Paul Courrent, membre de la S.E.S.A.,
prend connaissance de cette copie (A.N), alors entre
les mains de la Société de Antiquaires de France, selon ses propres
déclarations. Il en reçoit une nouvelle copie et fut le premier à publier le
manuscrit, en partie. En partie seulement ! Mais pourquoi n’a-t-il pas
publié l’intégralité ? Parfois un mot, parfois une phrase ou un paragraphe
complet, est manquant. Ces sections « censurées » du texte de Delmas sont pourtant riches d’enseignements. Les antécédents du docteur Courrent
le rattachant aux racines de l’affaire Boudet/Saunière
pourraient donner un début d’explication...
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