Le manuscrit Delmas et ses interprètes
Les auteurs de Rennes-les-Bains (- part - II)

Part I - L'abbé Henri Boudet
Part III - Pistes et traces écrites



Ms Delmas, version des Archives Nationales (extrait)
Extrait du Ms Delmas, version conservée aux Archives Nationales

Puisqu’il est avéré qu’un grand nombre de documents relatifs à l’affaire Lobineau[1]  sont faux ou, pour ceux s’approchant plus près de la vérité, ont été maquillés, il est de bon augure de regarder d’un peu plus près le manuscrit de l'abbé Delmas, ancien curé des Bains-de-Rennes vers 1709. Parmi les auteurs et historiens de Rennes-les-Bains, il est de ceux qui ont vécu dans la connaissance de certains mystères dont il est toujours imprudent d’évoquer l’origine.

 

Du Lys ou de l’Arène Blanche

 

Cet ancien texte est mentionné à plusieurs reprises dans les documents apocryphes du Prieuré de Sion. En 1967, Philippe de Chérisey, sous le pseudonyme de Nicolas Beaucéan, le cite dans sa plaquette au Pays de la Reine Blanche tout en indiquant que le manuscrit est perdu. Le croyait-il vraiment ? Au moins dans cet opuscule, il donnait des informations utiles quant au contenu de l’œuvre de Delmas, pour le peu qu’il en savait à l’époque.

A mille années lumière de là, nous avons la brochure du Cercle d’Ulysse, toujours du même auteur, mais qui signe en 1977 cette fois sous le pseudo de Jean Delaude. La prose du sieur Delaude promettait des révélations et la véritable histoire de l’or de Rennes. C’est ici que l’on trouve les premiers délires de Ph. de Chérisey sur ses prétendues falsifications de parchemins. Des délires prouvant l’étendue du canular à tous les niveaux car le manuscrit Delmas n’échappe pas au broyage intellectuel.

Dans le Cercle d’Ulysse, Chérisey affirmait que le tombeau d’Arques, mis en valeur par Nicolas Poussin, nous dit-on, y était nommé. Or, tout est faux et simple à vérifier. Le texte est disponible un peu partout sur la Toile. A aucun moment le tombeau de Poussin et sa citation ET IN ARCADIA EGO n’y sont notifiés. Delmas parle uniquement de fragments de présumées sépultures romaines attribuées à un certain Pompeius Quartus, reconnu par un certain archéologue comme étant Cneuis Pompée Magnus, ami mais éternel rival de Jules César.

Sans y accorder de crédit, l’abbé Delmas évoque l’hypothèse du passage du grand Pompée par le Razès lors de son voyage vers l’Espagne vers 78 av. J.-C. Son arrivée à Narbonne est pourtant un fait historique rappelé par Cicéron et Salluste dans son Histoire de la République Romaine : « Il pénétra par là (n.d.l.a : les Alpes) dans les Gaules après avoir écarté ou taillé en pièces quelques troupes de Barbares qui s’opposaient à son passage ; continua sa marche dans le pays des Allobroges & dans la province & arriva à Narbonne, où l’assemblée des Gaulois, convoquée par Fonteius, gouverneur de la province, le vint trouver. Il y passa l’hiver, occupé avec eux à régler diverses choses nécessaires à son expédition[2] ».

Malgré les multiples reproductions typographiques accessibles sur Internet, pour se faire une véritable idée de l’œuvre de l’abbé Delmas, il faut lire l’original. Seule n’a de valeur la substantifique moelle émise par Delmas. Là a commencé pour nous le parcours du combattant pour la recouvrer.

 

De main en main et aujourd’hui encore

 

Après la mort du curé Delmas, le cheminement du manuscrit a pris des détours curieux. Par deux fois, il est signalé dans le bulletin des Antiquaires de France :

1° - Extrait du premier rapport : Sur les travaux de la Société Royale des Antiquaires de France, lu à la séance publique du 30 mai 1819, par M. BOTTIN, chevalier de l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur, secrétaire général. (Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères par la Société des antiquaires de France)

Sur les antiquités romaines et grecques :
"Vous avez été mis en possession d'un ancien manuscrit dans lequel un curé de campagne de la même contrée, nommé Delmas, consignait, en 1709, ses recherches sur les bains de Montferrand, fréquentés par la colonie de Narbonne, et sur les nombreuses antiquités qu'on y a trouvées."

Journal de RLB 1819

2° - Extrait du second rapport : Sur les travaux de la Société Royale des Antiquaires de France, lu à la séance publique du 2 juillet 1820, par M. BOTTIN, chevalier de l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur, Secrétaire Général (Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères, par la Société des antiquaires de France).

ÉTABLISSEMENTS DE BAINS.— Les anciens croyaient, a dit Pline, qu'une divinité tutélaire et amie des hommes présidait à la garde de chaque source d'eau minérale; aussi la France seule nous offre-t-elle des monuments multipliés de l'attention qu'ils ont toujours donnée à ces sources. Dans votre dernière séance publique, il vous a été parlé d'un manuscrit autographe de M. Delmas sur les bains de Rennes, département de l'Aude. Ce manuscrit est original, et paraît avoir fourni une bonne partie des notions archéologiques du Journal des observations médicales faites aux bains de Rennes, dans les années 1816, 1817 et 1818, qui a été imprimé à Toulouse en 1819, et dont l'hommage vous a été fait par M- Dumège. Les bains de Rennes, connus jadis sous le nom de bains de Montferrand, sont situés au département de l'Aude, à 15 kilomètres de Limoux. On y trouve cinq sources d'eau minérale, dont trois thermales, de 32 à 40 degrés, et deux froides. Ces bains paraissent avoir été fréquentés, même avant les Romains, puisqu'on y a trouvé plusieurs médailles celtiques, celtibériennes. Le territoire de la commune offre partout des traces de la munificence romaine, des inscriptions et une infinité de médailles. La tradition porte que, dans les environs des bains, il a existé jadis une ville, dont on ignore aujourd'hui jusqu'à la position. Quelques-uns voudraient, la fixer au village même des bains de Rennes, et ils se fondent sur les médailles et sur les traces d'antiquité qu'on trouve en cet endroit, et aussi sur l'infinité d'urnes de terre argileuse qu'on y a trouvées renfermant des cendres et des morceaux d'os mal brûlés.

Le pasteur antiquaire luttant, autant que ses facultés le lui permettaient, avec la concurrence désespérante des impitoyables chaudronniers, avait fait une collection magnifique d'antiquités qu'après sa mort, ses héritiers vendirent à un moine de Sorèze. Le catalogue que l'éditeur du journal des observations médicales en a publié est tout ce qui nous reste de celle précieuse collection ; mais au moins nous avons la satisfaisante certitude que la famille Fleury, propriétaire actuelle de l'établissement des bains, en a commencé une nouvelle, qu'on rencontre déjà des médailles celtibériennes, romaines consulaires, romaines impériales de Jules-César, Auguste , Tibère, Caligula, Claude, Nerva , Vespasien , Domitien, Trajan , Adrien, Antonin Pie, Marc-Aurèle, Alex. Sévère, Valérien, Constantin; MM. Delmas et Sage en avaient déjà cité de Commode, des Gordiens, de Gallien, de Dioclétien, de Maximien, de Tetricus, et M. Dumège de Toulouse, qui a le premier donné avis de cette collection naissante, s'est chargé de classer les objets qui la composent; il se trouve quelquefois dans les trois métaux des revers rares et recherchés. A côté de ces médaillés, et de beaucoup de monnaies anciennes qui annoncent que, dans le Moyen Âge, ces bains de Rennes n'ont pas cessé d'être fréquentés, le musée naissant de l'établissement offre déjà des urnes en terre cuite, semblables à celles qu'on trouve dans toute l'Italie et dans la Gaule, des substructures de bâtiments, des restes de mosaïque, des vases et quelques petits meubles presque tous romains, tels qu'un style, des fibules en bronze, une flûte, etc. Il est à désirer que, dans les numéros subséquents du Journal médical des bains de Rennes, quelques pages soient consacrées à tenir les antiquaires au courant des accroissements que ne peut manquer de recevoir cette intéressante collection.

Lettre de la Société Nationale des Antiquaires de France
Lettre de la Société Nationale des Antiquaires de France, 2006

Les affirmations du premier extrait du bulletin sont en contradiction avec la réponse, à notre requête du 22 juin 2006, faite à la S.N.A.F le 30 novembre suivant. Cette dernière nous informa qu’elle n’était jamais entrée en possession du manuscrit de l’abbé Delmas[3] et ce que nous savions déjà : le Dr Paul Courrent n’a jamais été membre de cette honorable société d’érudits. Cette fin de non recevoir nous incita à creuser en profondeur l'histoire de ce fameux manuscrit Delmas.

A ce moment de notre enquête, nous découvrons finalement le manuscrit aux Archives Nationales[4]. Il s’agit bien de celui qui apparaît au début du XIXe siècle et dont le texte, souvent mal retranscrit, circule maintenant partout sur Internet. Il n’a pas été directement rédigé pas le curé de bains de Rennes. En effet, dans l’introduction nous lisons en toute lettre : « Ce mémoire a été fait en 1709, par M. Delmas qui a été curé dudit lieu pendant 60 ans. Quoiqu'il ne soit pas signé, il est original, et écrit de la propre main dudit Delmas ». L’écriture de ce chapeau étant identique à celle du dit manuscrit,  il s’agit donc d'une retranscription de l’original.

Nous ignorions, jusqu’à présent, par quel vecteur le premier manuscrit de l’abbé Delmas était sorti des ténèbres suivant son décès, soit entre 1709 et 1800. Or, en fouinant un peu, nous avons fini par retrouver sa trace dans la revue du Cabinet Historique[5]. Cette notice manuscrite était enregistrée, avec une grande quantité de documents d'archives de dom Vic et Vaissette[6], dans le CATALOGUE GÉNÉRAL DES DOCUMENTS ET  MANUSCRITS RELATIFS A L'HISTOIRE DE l'ANCIENNE FRANCE de la Bibliothèque Impériale vers 1856, Collection du Languedoc. N°2705 - Tome XII -Topographie - doc n°3. Ces archives révèlent toute une série de documents sur le diocèse d’Alet dont la notice sur la Bains de Montferran. Le titre exact est « Notice sur les Bains de Montferran - Diocèse d'Alet, cant. de Castelnaudary ». Le document est ainsi décrit : 8 rôles, folio 29. Les folios les Bains de Montferran sont ceux allant de 29 à 36.

Extrait du CATALOGUE GÉNÉRAL DES DOCUMENTS ET MANUSCRITS RELATIFS A L'HISTOIRE DE l'ANCIENNE FRANCE de la Bibliothèque Impériale vers 1856, Collection du Languedoc. N°2705 - Tome XII

Entrés en possession de ces références, il nous fallait absolument vérifier le contenu du tome XII des archives manuscrites de dom Vic et Vaissette. Notre démarche ne se fit pas sans déconvenue. Entreprise depuis 2007, notre première demande d’informations auprès des services de la BnF ne put aboutir favorablement. Malgré trois courriers explicatifs détaillés, nous nous sommes heurtés à un mur. Après ces multiples tentatives de recherches, références à l’appui, et des demandes réitérées, le bibliothécaire en charge de notre dossier ne trouva jamais les dites archives manuscrites de nos deux bénédictins: le document sur les Bains de Montferran était soi-disant introuvable dans la dite collection.

La revue dans laquelle le dépouillement de tous les papiers de dom Vic et Vaissette a été publié en 1856 était pourtant bien claire. Mais nous sommes tenaces. Avec l’aide de notre correspondante à Paris, A. de Varax, que nous remercions, nous avons eu gain de cause. En suivant exactement nos indications, les mêmes fournies aux bibliothécaires de la BnF, elle a fini par dénicher les notes manuscrites tant désirées, « cachées » à tort ou à raison au fin fond des rayonnages de la BnF « Richelieu ».

La lecture de ces pièces est très instructive. La vérification aura donc porté ses fruits. Nous pouvons maintenant affirmer qu’une copie de la Notice sur les Bains de Montferran se trouve dans les archives de dom Vic et dom Vaissette, si ce n’est l’original de l’abbé Delmas. Et, si c'est bien le cas, les premiers a en avoir eu connaissance sont immanquablement les abbés Vic et Vaissette. Ils l'auront ensuite recopié vers 1759.

Extrait du Ms Delmas version conservée à la BnF, Collection Languedoc, vers 1750

En résumé, il existe deux copies du Ms Delmas : une à la BnF Richelieu, la seconde aux Archives Nationales. Au milieu du XVIIIe siècle, le manuscrit original de l’abbé Delmas est arrivé dans les archives de Vic et Vaissette. Ces derniers en firent une copie autographe. Ils conservèrent l'original que nous avons découvert à la BnF, tome XII de la collection Languedoc - Bénédictins. Dès 1759, la copie autographe de nos deux bénédictins circulera dans les milieux érudits du Languedoc. Julia de Fontenelle, dont nous reparlerons dans la troisième partie, auteur d’un ouvrage sur les eaux thermales de Rennes-les-Bains fit la première communication de cette copie. Puis, c’est au tour de l’Académie Celtique fondée par Alexandre Lenoir. Il ira ensuite aux archives de l’Aude puis enfin aux Archives Nationales où nous l’avons trouvé.

Nous avons acquis la certitude que le manuscrit de la BnF était l’original de l’abbé Delmas et la copie des A.N. une retranscription de dom Vic et Vaissette. Notre affirmation n’est pas gratuite ou une simple vue de l’esprit. Une analyse graphologique des deux manuscrits prouve nos allégations.

-        Premièrement,  la graphie de tous les documents manuscrits rappelle celle du XVIIIe siècle.

-        Deuxièmement, les deux notices sur les Bains sont de mains différentes. Les notes manuscrites des bénédictins, références nécessaires pour effectuer toute comparaison, témoignent d’une nette inégalité entre l’écriture de leur notice sur les Bains-de-Rennes et celle de leurs diverses notes sur les paroisses du diocèse d’Alet. Ils ne sont pas les auteurs de la notice insérée dans leurs archives.

-        Troisièmement, ces mêmes notes nous révèlent l’auteur de la copie des A.N. Cette copie (qui a beaucoup voyagé) est une resucée autographe écrite par dom Vic ou dom Vaissette.

-        Quatrièmement, si la notice des A.N mentionne l’abbé Delmas comme auteur d’origine, la notice de la BnF ne peut-être que de lui,  CQFD ! Voilà une brèche chronologique comblée.

 

Six pieds sous terre

 

Dans les années 1930, le docteur Paul Courrent, membre de la S.E.S.A., prend connaissance de cette copie (A.N), alors entre les mains de la Société de Antiquaires de France, selon ses propres déclarations. Il en reçoit une nouvelle copie et fut le premier à publier le manuscrit, en partie. En partie seulement ! Mais pourquoi n’a-t-il pas publié l’intégralité ? Parfois un mot, parfois une phrase ou un paragraphe complet, est manquant. Ces sections « censurées » du texte de Delmas sont pourtant riches d’enseignements.

Les antécédents du docteur Courrent le rattachant aux racines de l’affaire Boudet/Saunière pourraient donner un début d’explication...

 



Mercure de Gaillon N°13

Lire la suite dans Le Mercure de Gaillon N°13 de janvier 2011.


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Thierry Garnier


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Remerciements particuliers à : A-M Lecordier

 



[1] Cf. Anatomie et autopsie d’un mythe, part I à V.

[2] Salluste, Histoire de la république romaine, T.1, par Charles de Brosses, libr. L.N. Frantin, Dijon, 1777, p.522-523.

[3] Voir pièces justificatives.

[4] Cote : 36 A 80.

[5] Le Cabinet historique, moniteur des bibliothèques et des archives de Louis Paris T.2, 1856 p.71

[6] Savants bénédictins auteurs de la monumentale « Histoire générale du Languedoc » vers 1760.