Histoire Souterraine
de Gaillon (27)

(1ère étude)





II - NOUVEAUX DEVELOPPEMENTS ET NOUVELLES PREUVES


L’architecture des anciens

 

Vue du Château Gaillard au XVIIe siècle
A toutes les époques, les histoires de passages ou de caches secrètes ont passionné les populations. De nombreuses légendes rapportent l'existence de souterrains dans la région gaillonnaise. La plus connue et la plus décriée dit qu'une galerie "où deux carrosses peuvent rouler" parcourt la distance entre le château de Gaillon et le Château-Gaillard des Andelys. La plupart des auteurs dénigrent ce fait, faute de preuves tangibles, ou font fi des témoignages, argumentant sur l'impossibilité technique de construire de telles structures ou encore la difficulté d'aération des sites. Cette dernière affirmation est tout à fait caduque car nos ancêtres pouvaient percer des cheminées de ventilation qui ont très bien pu être rebouchées ou détruites avec le temps, donc impossible à retrouver. J'admets la difficulté de réaliser un tel chantier mais certainement pas l'impossibilité.

Les bâtisseurs d'antan ont construit de nombreux édifices bien plus complexes que des souterrains. En admettant la réalité de cette réalisation pharaonique, elle n'a pu débuter qu'après 1204, quand Richard Cœur de Lion fut vaincu au cours du siège du Château- Gaillard par Philippe Auguste. De fait, il est bon de supposer que l'architecte prévoyait non pas un mais deux tronçons de tunnel : l'un allant de Gaillon au fort de Boutavent, l'autre de Boutavent aux Andelys. 

Le plus souvent les souterrains qui partaient d'un château étaient destinés à permettre aux occupants de fuir devant un envahisseur. Ils rejoignaient une autre place forte proche ou débouchaient dans la nature dans un endroit discret.

souterrains de Provins
Souterrains de Provins
Nier tout en bloc serait aussi oublier, un peu vite à mon goût, les kilomètres de galeries qui parcourent les sous-sols de notre capitale. D'autres villes, comme Provins, sont dotées, depuis des centaines d'années, d'un réseau de galeries maçonnées, en plein-cintre, reliant les différents édifices civils, religieux ou militaires, ainsi que des souterrains dits "de fuite", débouchant à quelques centaines de mètres hors des enceintes. Ces orifices, dissimulés, permettaient de communiquer avec l’extérieur en cas de siège. Les galeries de carrières étaient creusées pour une prise pratique et facile de matériaux (blocs d’extraction, sable à mortier…). Ces galeries sont tortueuses, se recoupant et se chevauchant suivant les filons.  Ces souterrains médiévaux appartenant presque tous à des particuliers ne sont pas visitables.

Nous savons également qu'à Gisors un souterrain court du château jusqu'à la tour de Neaufles-Saint-Martin[1]. Tout ceci est nié farouchement par les historiens malgré des sources municipales et préfectorales certifiées. Dans de nombreux écrits, le souterrain est décrit en détail. Il passait sous la petite rivière de la Lévrière. Des tentatives ont souvent été faites pour y accéder, mais les éboulements et autres obstacles n’ont pas permis une exploration approfondie[2].

Lettres sur Gisors - 1848

Il serait tout à fait surprenant qu’au château de Gaillon, construit vers le XIe, il n’y eut point de souterrains du même type. La structure Renaissance a été bâtie sur des fondations médiévales. J’avais fait une demande officielle à la DRACHN (Direction Régionale des Affaires Culturelles de Haute-Normandie) dans l'espoir d'obtenir une autorisation pour visiter les sous-sols du château afin de faire une étude correcte et objective des lieux. J’attends toujours une réponse.

Que faire dans ce cas là ! Je pourrai palabrer pendant des heures en essayant d'émettre des hypothèses. Mais je préfère plutôt vous faire part des témoignages parfois anciens que j'ai recueillis.

 

Voyage au centre de la Terre

 

En 1940, le château devint une Kommandantur de l’armée d’occupation. De son vivant mon grand-père racontait les tribulations de quelques soldats allemands partis en exploration dans les mystérieux bas-fonds gaillonnais. Pour eux, l'aventure s'était conclue par un non-retour à la surface de la Terre. Un autre de mes parents pénétra dans ces entrailles mais ne s'y aventura pas très loin. Avant de remonter, il avait bougé un pilier et constaté qu'une galerie abrupte était dissimulée. Lançant un caillou à l'intérieur, il avait entendu un bruit de verre cassé.
Château de Gaillon vers 1940


Depuis plusieurs années les témoignages s’accumulent. Dernièrement un antiquaire de Pressagny-l'Orgueilleux près de Vernon, M. Lebrun, m'envoya un courrier électronique, me relatant ceci : "Il y a environ 25 ans, alors que Monsieur et Madame Richard, antiquaires, étaient propriétaires du château de Gaillon. Ils étaient aussi mes clients. Plusieurs fois je leur ai rendu visite. Ils logeaient dans des appartements sur la droite après le portail d'entrée. Ils entretenaient une meute de chiens qu'ils nourrissaient avec des têtes de bovins récupérées dans les abattoirs. Lors d'une visite, Monsieur Richard me proposa de visiter les "oubliettes". L'accès s'ouvrait dans les bâtiments situés sur la droite quand on entre dans la cour. Un escalier en pierre en colimaçon nous conduisait vers les entrailles de la terre. Il fallait descendre l'équivalent de 4 ou 5 étages si bien que je pensais être arrivé au niveau de la Seine. On débouchait dans une pièce aveugle, divisée en deux avec un plafond courbe sans arcs de soutènement. Aucun soupirail n'était visible qui permette de renouveler l'air. L'endroit me semblait sinistre. Depuis si longtemps, ma mémoire n'est pas assez fidèle pour en dire plus. J'en suis désolé".

Ce ne sont bien sûr que des témoignages personnels, mais ô combien précieux. Dans son ouvrage "Gaillon et ses environs", A.-G. Poulain narre sa visite dans ces oubliettes[3] :

"Que l'on me permette de rappeler ici un souvenir de ma lointaine adolescence resté très clair dans mon esprit. Vers 1890, j'avais à Gaillon un oncle nommé Giroudeau qui exerçait les fonctions de brigadier de gendarmerie. Ce parent me fit visiter quelques parties du château non occupées par les détenus. Je fus surtout frappé par la vue des oubliettes. Après avoir descendu, accompagnés d'un gardien, un interminable escalier de pierre semblant nous conduire dans les antres de l'enfer et qu'une porte bardée de fer fut ouverte, nous pénétrâmes dans une salle assez spacieuse dont la haute voûte était munie d'une trappe en son milieu. Sur le pavé, s'étalaient les restes de paille humide donnant l'impression qu'un malheureux y avait séjourné peu avant notre visite. Le gardien nous expliqua qu'en effet l'on enfermait ici les incorrigibles à qui l'on passait la nourriture par la trappe au moyen d'une corde. On les ramenait au jour lorsqu'ils était "tout verts", selon l'expression de notre Cicérone".

Maçon de son état, avant guerre, mon grand-père avait eu, pour chantier, la fastidieuse besogne de desceller les épieux et lames métalliques situés dans ces oubliettes datant du Moyen âge. Malgré son inconfort, le château fut sécurisé car dès 1939 il devait accueillir les réfugiés républicains espagnols chassés par le franquisme.

L’existence de ce système de mort nous est confirmée par le témoignage de notre correspondante et fidèle lectrice, A.-M. Lecordier : "En découvrant les écrits de Thierry Garnier, des souvenirs depuis longtemps enfouis, ont resurgi. C’est dans ma douzième année que j’ai quitté Gaillon, ma ville natale. Quelque temps auparavant j’ai eu la chance de visiter le château ; enfin ce qui pouvait l’être. La dernière fois, que je m’y étais rendue, c’était lors du bal costumé des élèves du groupe scolaire Paul Doumer. Cette fois c’était différent, en comité restreint. Le gardien nous a menés dans un endroit, au sol en terre battue recouvert de paille : les « oubliettes » ; un trou à même le sol, en partie obstrué par une échelle pour éviter tout incident, en occupait une partie. Le gardien expliqua que par ce trou l’on précipitait les prisonniers qui se trouvaient ensuite réduits en purée par un engin de torture constitué de lames qui tournaient. L’on pouvait voir l’endroit où avait pu se trouver cette machinerie car il y avait de la clarté dans ce sous-sol. Etait-ce pour mieux impressionner la gamine que j’étais qu’il évoqua la présence d’une voie carrossable, qui passait sous la Seine, menant de Gaillon aux Andelys ? Là s’arrêtent mes souvenirs sur cette visite du château."

D'après les plans reproduits dans le livre "Le Château de Gaillon" d'E. Chirol (voir ci-dessous), il est probable que les sous-sols soient sur deux niveaux : le premier étant les caves[4], où le cardinal de Harley avait installé son imprimerie. La presse y était encore, mais inutilisée, à la Révolution. Ces caves sont voûtées en pierre de taille, d'une longueur de 66 m et d'une largeur de 9 m[5].

Plan succint des caves et souterrains de Gaillon
Caves et souterrains sous caves du château de Gaillon


Les seconds constituent les souterrains et oubliettes appelées parfois tombeaux à vivants, dont l'ouverture est située dans la tour de la Sirène. Le plan indique très nettement entrées et descentes d'escaliers en colimaçon décrits par Messieurs Lebrun et Poulain. La réalité de ces souterrains est claire. Mémoires du Duc de Luynes

Les récits précédents se voient renforcés par un témoignage de poids, celui du duc de Luynes, datant de 1746. Cela ne date pas d’hier. Le duc fit un court exposé détaillé des souterrains de Gaillon dans ses mémoires dont voici un extrait[6] : 

"Le château (de Gaillon – N.D.L.R) est presque entouré de tous les côtés d'un fossé assez large et profond, sec et revêtu de murailles. Il y a des souterrains, mais qui ne sont pas clairs. On descend dans les premiers par un escalier de vingt-cinq marches, chacune de six ou sept pouces de haut; de ceux-là on descend par un escalier de trente-cinq marches à peu près de même hauteur, dans un autre souterrain, qui n'est pas fort grand, mais assez clair. On compte dans ce château vingt-six appartements de maîtres, tous commodes et bien meublés."

Il ne faut cependant pas confondre ces souterrains avec les nombreuses marnières qui sont creusées dans les collines de Gaillon. En juillet 2002, j'ai pu pénétrer dans une de ces cavités. Les propriétaires, M. et Mme Lemarchand, m’avaient très aimablement invité, avec quelques amis, à visiter le site. Ces marnières ne sont que de très vastes tunnels. La plus grande mesure environ 60 m de long sur 6 ou 7 de large et environ 6 m de hauteur (photos ci-dessous). Les matériaux ayant servi à la construction du château proviennent en partie de cette mine calcaire.

Anciennes mines de pierres calcaires ou marnières de Gaillon

S'il fallait encore des preuves de l’existence de souterrains au château de Gaillon, je conseille au lecteur de lire les quelques passages extraits de "Mystères des vieux châteaux de France", relatant les amours interdites au XVIe siècle d'un prêtre prévaricateur nommé Riodet et d’Olinde une jeune fille de noble famille. Pour préserver leur secret, les amants avaient échafaudé un plan. Le prêtre avait décidé de faire disparaître sa maîtresse en la faisant passer pour morte. Avec son accord il cacha sa bien aimée dans les souterrains du château pendant un an :

"Pour donner à cette imposture un air de vraisemblance, il fallait absolument dérober à tous les regards la femme que j'avais séduite. J'employai alors un stratagème : la terreur. Ce fut le moyen et le ressort secret de ma coupable intrigue… A la faveur de la nuit, je fis descendre Olinde dans les souterrains du château. Là par une porte dérobée qui communique de la chapelle aux galeries basses, il m'était facile de la voir". Puis une fois le secret des amants découvert par un chevalier de passage à Gaillon : "Riodet descend en tremblant un escalier pratiqué dans l'épaisseur de la muraille", pour rejoindre Olinde et la sortir de la cache où elle commençait à dépérir[7].

Voyez qu'il y a là matière à discussion. Alors pourquoi Achille Deville, ce diable d'homme, élude-t-il le sujet dans ses comptes de dépenses pour le château de Gaillon en parlant de manière péremptoire de souterrains dont il n'y a rien à dire ? Y aurait-il anguille... ou aiguille sous roche ?
Graffiti d'un cachot du Château de Gaillonune galerie souterraine du château de Gaillon
Graffiti découvert dans un
cachot du Château de Gaillon
Excavation mettant au jour
une galerie souterraine du château de Gaillon

 

L’Aiguille Creuse ?

 

On pourra me reprocher de spéculer sur l'existence du réseau de galeries allant du château de Gaillon au Château-Gaillard. Je n'ai pas eu d'autre choix puisque aucune étude sérieuse n'a été publiée; les autorités compétentes refusant obstinément toute exploration ou alors, si cela fut fait (récemment ?), les résultats ne furent pas communiqués et pour cause. Comme à Gisors il ne faut surtout pas attirer les curieux. Tout ce qui concerne les dessous de Gaillon tout est rigoureusement exact : le sous-sol du château est "creux" depuis le Moyen Age si ce n'est avant. La datation reste à faire. Il faut donc bien faire la différence entre ces galeries et le tunnel d'environ 10 km conçu peut-être vers le début du XIIIe siècle dont l'existence sera soutenue par un dernier témoignage de première main.

Un oncle passant la plupart de son temps à battre la campagne aux alentours de Gaillon dans les années d'après guerre, me raconta les courtes expéditions qu'il avait effectuées dans une galerie souterraine. L'entrée se situait dans une ferme du village de Courcelles-sur-Seine. Avec des amis, il avait pris soin de marquer d'un fil d'Ariane son trajet. Il se souvenait d'un long tunnel sombre voûté et maçonné en pierre de silex suintant l'eau à l'approche de la Seine. L'équipée ne put aller au-delà du fleuve car le passage était bouché par un éboulis. D'après ses renseignements, la galerie allait bien en direction du château de Gaillon et se divisait en plusieurs tronçons allant dans d'autres directions.

Alors, la légende deviendrait-elle réalité ? Ce témoignage apporte bien une preuve supplémentaire de l'éparpillement d'un véritable réseau de constructions souterraines dans la région Gaillonnaise jusqu'à la Chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon et passant sous la Seine. Fadaises ? Non ! Aussi curieux que cela puisse paraître, un tronçon a réellement existé de ce côté. Il est devenu inaccessible étant effondré et inondé à certain endroit. Dans le domaine de la Créquinière (commune d'Aubevoye), dernier refuge des chartreux après la Révolution, il existait un accès à un souterrain. Cet accès est fermé de nos jours par une porte en fer et le tunnel a été bouché à quelques mètres de l'entrée.

Tournebut vers 1800Tournebut aujourd'hui
Tournebut vers 1800Tournebut aujourd'hui

Un autre site souterrain a été localisé au château de Tournebut. Il m'a été donné l'occasion de le visiter. La galerie sans éclairage, située en plein milieu du domaine, apparaît comme une cave voûtée de belle allure avec quatre alvéoles (deux de chaque côté). Mais s'il ne s'agit que d'une simple cave, pourquoi des traces de sondages sont-elles perceptibles dans chacun des alvéoles ? Ceux qui ont effectué ces sondages voulaient-ils savoir si d'autres galeries existaient et pouvaient avoir été bouchées ?

La construction du premier manoir de Tournebut doit dater du XIVe ou XVe siècle. Il fut plusieurs fois détruit et rebâti sur les fondations du précédent. Des chroniques relatant son histoire rappellent l'existence de souterrains de fuite dans l'ancienne demeure du XIXe siècle[8]. Vu la situation de cette cave, il est plus qu'évident qu'elle est le dernier vestige de ces souterrains dissimulés dans les épaisses murailles de la bâtisse, aujourd'hui disparue, du chevalier de Mauriac.

Galerie souterraine de TournebutSondage
Galerie souterraine de Tournebut Sondage effectué dans la muraille d'une alvéole

 

Documents et pièces justificatives




NOUVEAUX DEVELOPPEMENTS
ET NOUVELLES PREUVES dans


Le Mercure de Gaillon N°6
Les Archives du Serpent Rouge

Disponible dès le 4 avril 2009

Le Mercure de Gaillon N°2 - BANDE ANNONCE - 12MO
Bande Annonce (Trailer)


© Thierry Garnier – Mis à jour le 05.12.07 - M2G éditions. Reproduction interdite sans autoriqation de l'auteur

 

Remerciements particuliers à : A-M Lecordier


Voir aussi

Livre épuisé




[1] Lettres sur Gisors adressées à M. De Laitre Préfet de l'Eure, par Nicolas René Potin de La Mairie - 1848

[2] Tristan le Voyageur, ou la France au XIVe siècle par Louis-Antoine-François de Marchangy, 1825, p.146 et 375.

[3] Gaillon et ses environs, par A.-G. Poulain, 1960.

[4] Le Château de Gaillon, par Elisabeth Chirol, 1952.

[5] Connaissance de l'Eure n°66-67, 1987-88.

[6] Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), T.VII, 1745-1746, par Charles Philippe d'Albert duc de Luynes, éd. Firmin-Didot, Paris, 1861, p.40

[7] Mystères des vieux châteaux de France, tome IV, éd Eugène et Victor Penaud, s.d. vers 1865.

[8] Aubevoye et son passé, G. Villain - Beaumont-le-Roger : Eure, impr. U. Faure, 1965.


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