Les Chroniques de Rhedae
Synthèse d’un secret séculaire.
I - Nicolas Poussin, une énigme en son temps



Part II - Le mausolée inconnu ou les Mythes de l’Arcadie


La vie du plus célèbre peintre classique normand est un mystère sous bien des aspects. Nous en connaissons une grande partie mais un voile obscur recouvre encore les vingt premières années de son existence en Normandie.
Aussi étrange que cela puisse paraître, on ignore le jour et l'année exacte où il vint au monde. Son acte de naissance a disparu. Selon "Les Archives de l'art Français" (T.VI, 1862), un acte de baptême, en date du 6 août 1610 Aux Andelys, le dit âgé de 12 ans. Ce qui le ferait naître en 1597.

Rassemblant les pièces éparses publiées par le Mercure de Gaillon, en ce 17 janvier 2013, essayons de faire la synthèse de cette vie mirifique dans ce premier chapitre de notre nouvel opus : "Les Chroniques de Rhedae". Car, finalement, que sait-on du véritable secret de Poussin ? Rien ! Pourtant, tout semble commencer en Normandie entre 1612 et 1616 alors que Nicolas est encore élève chez le peintre N. Jouvenet à Rouen.

 

Un départ précipité et des archives « fantaisistes »

 

Au travers d’une simultanéité de faits, il nous apparaît qu’un plan s’est lentement échafaudé autour du secret détenu par notre peintre.

Dans les années 1615-1616, Vincent de Paul, dont on connaît le présumé point d’ancrage à N-D de Marceille près de Limoux, était trésorier de la collégiale d’Ecouis, village de l’Eure et fief de la famille de Marigny sous Philippe Le Bel. Cette bourgade est située à une dizaine de kilomètres des Andelys où vivait à la même époque Nicolas Poussin, élève assidu dans l’école du peintre Noël Jouvenet à Rouen.

A ce moment intervient également Mgr François de Joyeuse, fieffé en la baronnie d’Arques dans l’Aude. Il était alors archevêque de Rouen.

Vincent de Paul, N. Poussin et F. de Joyeuse se sont donc croisés, s’ils ne se sont côtoyés, entre 1615 et 1616 en Normandie.

On ne sait si le talentueux Nicolas Poussin entra en rapport avec François de Joyeuse. Cependant nous pouvons supposer qu’il eut connaissance de certaines révélations vers 1615 et entreprit de les dissimuler dans certaines de ses œuvres.

Une supposition corroborée par un document écrit de Thomas Corneille, frère de Pierre, qui passa une grande partie de sa vie aux Andelys. Il s’y maria en 1650. Thomas écrit dans son Dictionnaire Universel, Géographique et Historique[1], que le départ de Poussin des Andelys fut précipité pour “une affaire qui lui survint et lui ayant fait craindre quelques poursuites qui l’auraient embarrassé; il quitta son pays et vint à Paris”. Vers 1618, il arriva dans la capitale, puis il en partit pour Rome vers 1620/1621, se sentant peut-être plus libre de ses mouvements.

Quelle était donc la nature de ces charges que N. Poussin redoutait ? « Qu’allait-il faire dans cette galère ? » rétorquerait l’auteur des « Fourberies de Scapin ». Et, de Molière ou de Pierre Corneille, puisque le doute s’est insinué dans l’œuvre de J.-B Poquelin, lequel des deux aurait lancé cette tirade proverbiale en mémoire des années de galère de Vincent de Paul. Touchant la famille Corneille du bout des doigts et l’étape normande du trésorier d’Ecouis, la réponse semble assurée.

Léon Coutil, érudit normand, était originaire du petit village de Villers où vécut le jeune Nicolas. Ses ancêtres, voisins des Poussin, eurent en leur possession des titres de propriété de cette famille ainsi que de celle de Thomas Corneille. Aussi déclare t’il : “Malheureusement, trop de fantaisies s’y trouvent mentionnées et nous préférons ne pas les relever”[2]. L’étrange comportement de cet historien local intriguerait le plus retors des rationalistes.

Des fantaisies inavouables, des poursuites qui mettent en péril la vie de notre Poussin national. Qu’est-ce qui le poussa à fuir la Normandie dès 1618 ?

 

Nicolas Poussin chapelain de Gisors

 

Quelques données, aussi étranges soient-elles, sont parfois impossibles à soustraire à notre curiosité. Elles révèlent à nos yeux un certain Nicolas Poussin chapelain de la chapelle Sainte-Catherine de l’église de Gisors[3] en 1618. Pour mémoire, cette chapelle est un des jalons les plus importants de l’affaire ou « Trésor de Gisors » déterrée par R. Lhomoy et G. de Sède dans les années 60.

Ce chapelain avait été mandé par le seigneur de Flavacourt, dont la famille était fondatrice de la chapelle en question. Il n’est pas assuré qu’il s’agisse d’une singulière homonymie. Le nom de Poussin n’était pas courant dans le Vexin à cette époque[4].

N. Poussin, chapelain de Gisors, est présumé décédé vers le 22 juillet 1619. Nous serions en face de personnages différents portant les mêmes noms et prénoms, présents dans la même région à la même époque. Cela va à l’encontre de toute statistique rationnelle. A moins, bien entendu, que nous soyons dans le « brouillard », un flou artistique et fantaisiste cher à Léon Coutil ou est-ce encore le jeu du « Azard » ?

N. Poussin, jeune peintre fraîchement sorti des ateliers de Noël Jouvenet à Rouen, aurait-il pu devenir temporairement chapelain à Gisors jusqu’en 1619 ? C’est peu probable vu son jeune âge. Aucun de ses biographes n’en fait mention. Cela pourrait paraître complètement farfelu.

Son départ précipité pour Paris à la même période, relaté par Thomas Corneille, serait-il synonyme d’un décès camouflé et annoncé dans un répertoire des promotions ecclésiastiques pour masquer une fuite devenue nécessaire à sa survie ? Ce départ clandestin pour la capitale nous est encore confirmé par Louis Bouchitté[5]. Il présage de la valeur primordiale et absolue du secret du maître du classicisme français.

Aurait-il pu profiter de cette situation pour trouver un asile sûr, et être hors d’atteinte de toute poursuite, au sein même de l’église St Gervais St Protais de Gisors sous la protection du curé Robert Denyau ?

On pourra taxer cette histoire de fiction ou de roman. Mais il ne faut rien négliger pour ce cher N. Poussin et la question d’un faux décès en 1619 restera en suspens car nous sommes dans l’impossibilité de consulter les registres des sépultures de la paroisse de Gisors de l’année 1619. Ceux-ci ont été détruits ! Le mystère Nicolas Poussin s’épaissit d’autant plus.

Une autre hypothèse, moins scabreuse, tendrait à faire du chapelain Nicolas Poussin un parent proche du peintre, un cousin ou un oncle. On le retrouve plus tôt dans les années 1601-1606 à la cure de Trie-Château. Chapelain en l’église Saint-Gervais Saint-Protais vers 1618, il avait pour supérieur Robert Denyau. Le prêtre et le peintre ont pu entrer en relation de cette façon. Il existe en effet des traces écrites confirmant ce contact.

 

Un portrait de Robert Denyau par N. Poussin

 

Un portrait de R. Deniau, curé de Gisors, par Nicolas Poussin. Document de deux pages disponible dans le FANUM II

Malgré les destructions de nombreux documents il reste suffisamment de témoignages pour extirper du néant certaines vérités oblitérées sciemment par un bon nombre d’historiens officiels. Ainsi, la plus extraordinaire découverte décelée dans le dossier Poussin, de L. Coutil, est une note particulière se référant à l’un des ouvrages de R. Denyau : Calendarium martyrologii regalis sanctoralis principum[6] .

Ce sont les notes calendaires, insérées dans son Histoire Politique et Religieuse de Gisors en deux volumes dont il ne reste que le tome I. On y retrouve la fête de saint Dagobert II au 23 décembre. Ce Martyrologe occupe les feuillets 237 à 284 du vol 1er. Nicolas Poussin y est mentionné en tant que picinius au feuillet 269(b) : au 8 du mois de septembre (sans date) Denyau signale la position de  ce « Picinius » en Italie. Quelle utilité pour le curé de Gisors de mentionner le peintre dans son martyrologe ?

Pour en avoir le cœur net, peut-être faudrait-t-il retrouver un portrait de R. Denyau exécuté par notre Nicolas Poussin. Cela démontrerait que ces deux hommes étaient en relation étroite.

La Revue Universelle[7] des arts publia en 1864 dix-huit vers latins originaux datant du milieu du xviie siècle à ce sujet. Ils décrivent, d’une manière peu flatteuse, le caractère vindicatif du curé de Gisors brossé par N. Poussin. Voici les deux premiers vers de cette ode intitulée « Magister Robertus Denialdus pingendus Piscio celebri pictori commendatur» :

 

Denialdum docte Pisci

Vis Robertum pingere

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’auteur de l’article aurait commis une étrange erreur en traduisant piscio par Poussin. Mais est-ce vraiment une erreur ? Il écrit : « Parmi les tableaux de Poussin qui n’ont pas encore été cités par les biographes, il faudrait chercher un portrait de Robert Deniault (sic) peint d’après nature par le célèbre artiste pendant un de ses courts séjours en France ».

Louis Régnier[8], corrigeant la traduction du nom de famille, attribue plus facilement cette œuvre à Robert Poisson, un peintre qui aurait séjourné à Gisors vers 1650. Or, les seuls artistes de ce nom ayant travaillé à Gisors furent Louis Poisson et son fils portant le même prénom[9]. Louis Poisson, premier du nom, architecte et peintre à la fin du xvie siècle, avait fait les autels et les peintures ornant l’abside et la chapelle du Rosaire (ou Chapelet) de l’église Saint-Gervais Saint-Protais. Louis Régnier aura confondu avec Robert Poisson, tapissier angevin, ayant un atelier à Paris vers 1380.

Piscio (ou Picio) pourrait être un surnom de Nicolas Poussin qu’il utilisa pour tirer le portrait du prêtre de Gisors. Le folio 269(b) du Calendarium martyrologii regalis semble le prouver instamment. Dans ce curieux martyrologe rédigé exclusivement en latin, R. Denyau a noté pour le 8 du mois de septembre, parmi d’autres citations : « In aquum Italia Picinius loco qui dissitur Lauritus ». Nous traduirons ceci par : « Poussin[10],  en (?) Italie, en un lieu que l’on nomme Lauritius (ou Lauritium proche d’Ancone) »... Le site semble méconnu, mais le nom de Picinius (ou Poussin) est bien mentionné.

R. Denyau, à l’instar de Vincent de Paul et du cardinal de Joyeuse, baron d’Arques, seigneurs des Pontils et autres lieux, était en Normandie quand Poussin la quitta (1615 à 1619). Quoi qu’il en soit, si ce portrait établit un lien entre le curé de Gisors, impliqué dans un mystère templier[11], et le peintre, il n’apporte aucune réponse quant au secret qu’il détenait. Quelle en était donc la teneur ? Etait-ce le secret qu’il devait confier 38 ans plus tard à Louis Fouquet ?

 

Une correspondance mystérieuse

 

Il y a quelques années une correspondance de l’abbé Fouquet à son frère le surintendant des finances de Louis XIV fut mise au jour. Dans cette missive particulière datée du 17 avril 1656, bien connue aujourd’hui, il l’entretient d’un étrange échange avec le peintre :

“Rome, le 17 avril 1656

J'ay rendu à M. Poussin la lettre que vous luy faites l'honneur de lui escrire; il en a tesmoigné toute la joie imaginable. Vous ne sçauriez croire, Monsieur, ni les peines qu'il prend pour vostre service, ni l'affection avec laquelle il les prend, ni le mérite et la probité qu'il apporte en toutes choses. Luy et moy nous avons projette de certaines choses dont je pourrayvous entretenir à fond dans peu, qui vous donneront par M. Poussin des avantages (si vous ne les voulez pas mespriser) que les roys auraient grande peine à tirer de luy, et qu'après luy peut estre personne au monde ne recouvrera jamais dans les siècles advenir ; et, ce qui plus est, cela serait sans beaucoup de dépenses et pourrait même tourner à profit, et ce sont choses si fort à rechercher que quoy que ce soit sur la terre maintenant ne peut avoir une meilleure fortune ni peut-estre esgalle. Comme en luy rendant vostre lettre je ne le vis qu'un moment en passant, j'oubliay de luy dire que vous ferez retirer son brevet renouvelé en termes honorables.”

Mais c’est sans doute le commentaire publié dans le « Thuillier » qui va pimenter l’affaire et apporter de l’eau au moulin des chercheurs. Jacques Thuillier, dans son ouvrage consacré à Poussin, indique dans ses notes : “Ce projet mystérieux et grandiose pose une énigme. A quelle entreprise merveilleuse pouvaient bien rêver le vieux peintre et le jeune abbé, esprit vif mais tête pratique, et peu susceptible d’enthousiasme inconsidéré ? Quelque grande publication ? On comprendrait mal un tel engouement. Montaiglon a avancé l’hypothèse de grandes fouilles archéologiques, en un certain point de Rome ou du Tibre. Elles sont en effet fort plausibles. Peut-être même Poussin, attentif à la moindre découverte et par le rôle d’intermédiaire qu’il exerçait parfois, en relation plus ou moins suivie avec des fouilleurs clandestins, avait-il repéré un site exceptionnel, dont il détenait le secret: ce qui expliquerait les termes si curieux dont se sert l’abbé.”

 



Fouilles et décryptages de N. Poussin

 

J. Thuillier n’a pas eu tort de sous-estimer les moyens d’actions du peintre. Une histoire curieuse raconte comment Jean Dughet, beau-père de N. Poussin, aurait fait fortune. On apprend en effet que quatre hommes, dont Dughet, s’occupèrent pendant plusieurs nuits à faire des fouilles dans le cirque de Caracalla. Ils se cachaient dans les ruines pendant le jour, et à la nuit ils se rendaient dans une petite auberge, près de Capo di Bove. Là ils soupaient et allumaient leurs lanternes. Un seul d'entre eux prenait toujours la parole. Cette circonstance excita la curiosité de leur hôte, qui les surveilla, et qui ayant découvert leur occupation, en prévint le gouvernement. Ces gens se voyant découverts abandonnèrent leurs recherches, et on n'en entendit plus parler. Suivant l'opinion la plus généralement répandue à Rome, les trois autres hommes silencieux étaient des Goths venus du Nord, sur la foi d'une ancienne tradition, pour chercher un trésor caché[12].

Par ailleurs, l'amitié du commandeur del Pozzo procura au Poussin un libre accès aux bibliothèques publiques et aux collections de médailles et de manuscrits. Cet homme généreux chercha, par les moyens les plus délicats, à augmenter la fortune et à étendre la réputation de son protégé. Il l'engagea à déchiffrer les difficiles manuscrits de Léonard de Vinci qui se trouvaient à la bibliothèque Barberini. C'est pour ce travail que N. Poussin fit plusieurs dessins[13].

 



Savants et peintres kabbalistes

 

Arrivé au terme de sa vie Poussin semble avoir connu tout le gratin intellectuel de son époque, dans toute l’Europe. On compte parmi ses amis proches l’abbé Nicaise dont nous avons déjà montré les attaches rosicruciennes.

La société occulte apparaît comme un maillon important de la vie secrète du peintre. Lors de la fondation de son Ordre Rose+Croix à la fin du XIXe siècle, le Sar Peladan s’octroiera le luxe d’inscrire dans sa Règle le rejet de tout type de peinture à quelques exceptions près, mais non des moindres. Il avait spécifié, à l'article IV des sujets honnis dans la peinture : « tout paysage sauf celui à la Poussin ». Notre artiste Andelysiens ne laissait donc pas les R+C indifférents.

Mais c’est sans doute derrière le voile de quelque guilde de peintres que le secret et cette face occulte de Poussin se dissimule. Le fil conducteur de nos savants  kabbalistes suit les évangiles de saint Luc, de saint Matthieu et de saint Jean.

A l’instar des peintres du Nord de l’Europe, maîtres de la Guilde de St Luc, tels les Teniers, c’est dans l’Académie de St Luc de Rome, pendant italien de l’ordre flamand, que Nicolas Poussin trouve sa place en 1631. leonard de vinci était un éminent affidé de la Guilde de Saint-Luc en 1472. poussin pouvait-il en être puisqu’on lui demanda de décrypter les manuscrits De Vinci ? Nous le croyons, sachant que la marque de reconnaissance de la guilde anversoise, une main coupee, apparaît en second plan sur son autoportrait[14] de 1650 : les mains posées sur les épaules de la femme du maître signent l’œuvre.

Une corporation d’artistes « Initiés » européens, la guilde saint-luc, est donc étrangement mêlée à l’affaire. Ainsi, Poussin et Téniers gardent la clef : l’un dans un parc et un tombeau d’arcadie, l’autre dans un ermitage et une grotte. Or, chacun de ces éléments picturaux trouvent son pendant réel tant en Normandie, patrie du Poussin, qu’en Languedoc.

 



Une clef et un tombeau d’Arcadie en Normandie

 

Nul besoin de rappeler les sites des Pontils et de Galamus autour de Rennes-le-Château dont la réputation n’est plus à faire. Tandis qu’en Normandie les sites sont totalement méconnus.

La clef secrète normande du triangle d’or, dont parlait P. Ferté[15] en référence à Gaillon que j’ai révélé en 2005, n’intéresse que peu de monde. Il s’agit du parc arcadien du Lydieu, situé dans le château de Gaillon, construit au début du XVIe siècle. Le plan général du parc, dessiné par Androuet du Cerceau, formait une clef. D’où sortait-elle ?  Clef d’une Arche, d’un coffre ou d’une porte, enveloppée dans un voile de mystère, jetée dans un puits situé au fond d’un parc ? Quoiqu’il en soit, elle ne faisait aucune référence à la ville de Narbonne d’où arrivait G. d’Amboise, devenu archevêque de Rouen et fondateur du château Renaissance de Gaillon.  

A coté de cette « clef », un bassin d’agrément représentait une serrure où se baignent trois cygnes (entendre « trois signes »). Qu’elles étaient donc ses signes de piste ? Un ermitage y avait été creusé dans un rocher, lequel avait été disposé au centre d'un bassin carré rempli d'eau. L'entrée de la grotte était gardée par deux bergers, celui de droite tenant une clef à la main.
En 1566, à l'occasion de la venue du roi Charles IX et de sa mère Catherine de Médicis, on y présenta Les Théâtres de Gaillon à la Reine, composés par le poète Rouennais Nicolas Filleul. Ces Théâtres, églogues et pastorales, ne sont rien d'autre qu'une évocation de l'Arcadie suivant les influences antiques de Virgile. Or, l'exégèse de N. Poussin répand l'idée qu'il se serait inspiré de Virgile dans l'exécution de son œuvre majeur les Bergers d'Arcadie.

Ne l'aurait-il agrémenté de quelqu'autre souvenir de son enfance Normande ? Car le plus frappant dans notre région, c'est le paysage situé à environ 5km de la maison natale de notre peintre, près Des Andelys (27). Nous y avons décelé le paysage original peint pour les Bergers d’Arcadie (ou l’Arcadie).

C'est une réalité et non de la fiction. Car non seulement il s'agit du même paysage (inversé et toute distance confondue) mais on y retrouve également un tombeau bien réel. En vérité, une table de pierre, dite tombeau de St Ethbin. Celui-ci a remplacé un dolmen dans un paysage bucolique et enchanteur situé sur les rives de la Seine, tel le fleuve Alphée, en contrebas du site historique de Châteauneuf. Ici fut célébré le mariage du futur Louis VIII et de Blanche de Castille encore enfants. Mais n’y cherchez pas le sarcophage du saint homme car Saint Ethbin fut inhumé en Irlande. On y plaça peut-être quelque ossement pour donner le change. Toutefois aucune relique n’est jamais parvenue jusqu’à nous.

Selon les croyances, la table de pierre aurait un pouvoir de guérison miraculeuse : tous maux de dos disparaîtraient en passant trois fois dessous. Nous avons donc là un site païen christianisé comme il en existe tant en France. Mais quelle ressemblance majestueuse avec le tableau de Poussin !... Il faudrait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte.

 

Peintres du terroir

 

Les fonds d’archives Coutil, employés par ailleurs, nous révèlent encore le contenu d’une chemise titrée « De Vèze », dans le dossier Nicolas Poussin, vidée de toutes ses pièces. Sur la couverture il était indiqué « cinq gravures ». Tout a disparu. Après enquête[16], il s’est avéré qu’il s’agissait des reproductions d’œuvres de la famille des peintres graveurs Rivalz.

Le premier de la lignée, Jean-Pierre Rivalz fut un élève et ami de Nicolas Poussin. Le maître employa alors ce Languedocien de souche à peindre le fond de ses tableaux[17]. Ainsi, tout porte croire que J.-P. Rivalz fut celui qui réalisa le paysage de la seconde version du tableau de Bergers d’Arcadie pour Nicolas Poussin. Remarque certes péremptoire mais non dénuée de jugement. Car le fils de Jean-Pierre Rivalz, Antoine, suivit le même élan artistique.

Il n’eut certainement pas la chance de connaître Nicolas Poussin puisqu’il naquit en 1667 à Toulouse. Cependant, sa passion pour le Poussin est remarquable dans son œuvre. Parmi ses estampes gravées, il nous a laissé une allégorie à la mémoire du maître. Mais surtout son œuvre est marquée par « l'Arcadie remplie de bergers », formant des danses avec des bergères, dont une s'écarte dans le bois, suivie de son amant sous prétexte de visiter le mausolée & l'inscription ET IN ARCADIA EGO[18].

Marié en 1723, il eut plusieurs enfants. L’un d’entre eux, Jean-Pierre, dit chevalier Rivalz suivit les traces de ses aïeux en devenant à son tour peintre graveur.

En 1766, le chevalier Rivalz avait exposé de nombreux dessins originaux attribués au Poussin, à Annibal Carrache, au Bernin. Il y avait joint plusieurs dessins de son père Antoine Rivalz, et enfin un groupe de bronze antique, l'Enlèvement de Déjanire par le Centaure Nessus. Cette sculpture avait été trouvée en 1731 sur le chemin de Malpas, ruisseau à Saint-Juste-et-le-Bézu, près de Rennes-les-Bains[19] (document ci-contre).

Mais par quel fait de ce troublant « Azard » le petit fils de Jean-Pierre Rivalz, élève que Poussin employa à la réalisation de ses fonds de fabrique et d’architecture, se trouva-t-il en possession d’un bronze antique dégagé d’une fouille pratiqué dans le secteur de Rennes-les-Bains en 1731 ? Par héritage à l’évidence ! 

En Languedoc, les Rivalz sont une famille emblématique de l’art pictural des XVIIe  et XVIIIe siècle. On retrouvera des œuvres d’Antoine dans le cabinet du baron de Vèze parmi d’autres des dessins attribués au Poussin. Voilà ce qui nous amène à penser que les documents collationnés, puis disparus, du fonds d’archives Coutil relatif à Poussin, classés dans une chemise « de Vèze », étaient probablement des gravures d’un des Rivalz et de Poussin.

L. Coutil nous a guidé incidemment vers les Rivalz et N. Poussin par le baron de Vèze. C’est encore L. Coutil qui fera le lien en lieu et place de Rennes-les-Bains, nom de la cité thermale reconnue parmi les documents émanant du chevalier Rivalz. L’érudit normand évoquant un char votif[20] et un groupe de bronze issus de fouilles effectuées aux alentours des Bains de Rennes stigmatisent une relation certes ambiguë mais bien réelle.

Jean-Pierre Rivalz, le vieux, pouvait connaître les secteurs des Bains de Rennes et son histoire antique et templière. Même si le tombeau des Pontils fut élevé vers 1902, pour point de repère, à l’instigation de Bérenger Saunière, le paysage a toujours existé ainsi qu’un cite archéologique majeur et son dépôt.

Reflets du passé, effets de miroir entre la Normandie et le Languedoc, notre vision du secret de Nicolas Poussin s’éclaircit au gré de la découverte de traces écrites authentiques. Reconstituées, tel un puzzle, elles révèlent la valeur du secret et ne laissent plus de place au doute contrairement aux tentatives de décodage des tableaux de N. Poussin hautement subjectives. Le flou et la confusion ne se dissiperont pas en restant sur de telles positions. Ombres aux tableaux, trompes l’oeil doublés de géométrie plus ou moins sacrée, amalgame de montagnes ou « Bugarachisation » de sommets en tout genre, ce type d'interprétations est insuffisant pour avancer de véritables hypothèses de travail. Elles engendrent une multitude de spéculations dont on ne ressort jamais, si ce n’est pour entrer dans un asile de fous.

Notre méthode philologique n’est peut-être pas la meilleure mais elle a au moins le mérite de remettre en avant les témoignages écrits ayant échappé au bûcher des vanités de l’Histoire de France.

 





Commander le Mercure de Gaillon N°16

Th. Garnier


© 17 janvier 2013 - M2G éditions. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Remerciements particuliers à : A-M Lecordier



[1] T.1 - 1708, p.17.

[2] Notice de deux pages : Les dernières oeuvres de N. Poussin au Musée des Andelys, L. Coutil, sans date.

[3] Répertoire des promotions ecclésiastiques dans le Vexin, J. Depoin, 1916, p.65.

[4] Les Andelys et Nicolas Poussin, par Eugène Gandar, libr. Jules Renouard, Paris, 1860, p.176.

[5] Le Poussin, sa vie et son œuvre, par Louis Firmin Hervé Bouchitté 1858, p.6.

[6] La bibliothèque Sainte-Geneviève dispose d’un rare exemplaire, In 8°, Paris Savreux, 1663 (Parisiis : apud Carolum Savreux), ½ relié chagrin noir, cote 8 H 1150 INV 4121. Ouvrage non répertorié à la BnF.

[7] T. XIX, p.213-214. Revue éditée à Paris et Bruxelles.

[8] Op. cit. L. Régnier, p.21.

[9] Op. cit. V. Patte, p.209 et 216.

[10] Le latin traduit généralement le nom de POUSSIN par PUSSINUS. Néanmoins on retrouve un certain N. PICINUS dans « Johan David Kölhlers », 1746. Une erreur orthographique de Denyau n’est pas à écarter non plus.

[11] Gisors ou la Chroniques Vulcaine, Th. Ganreir, M2G Editions, 2005

[12] Mémoire sur la vie de N. Poussin, par Maria Calcott, 1821, p.46

[13] Op. cit. p.48

[14] Peint pour Paul Fréart de Chanteloup, H.98xL.74cm, le Louvre.

[15] Arsène Lupin Supérieur Inconnu, Ed. Trédaniel, 1994.

[16] Publiée dans Gisors ou la Chronique Vulcaine, 2011.

[17] Abrégé de la vie des plus fameux peintres, par Antoine Joseph Dezallier d'Argenville, T.IV,  chez Bure l’Aîné, 1762, p.352.

[18] Op. cit. p.360.

[19] Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, 1908, p.128-129.

[20]Bulletin de la Société préhistorique de France, T.29, 1932, p.181.