Le parchemin de Chinon et les archives des Templiers

 

D’une manière générale, l’anniversaire de l’abolition de l’Ordre du Temple[1] a très peu été commémoré en 2011. Quelques entrefilets dans la presse ou sur le réseau, mais rien de bien marquant si finalement un document connu depuis 2008 n’avait été remis au goût du jour. Ce document, qu’une bibliothécaire du Vatican prétend avoir retrouvé en 2001, sans attestation formelle, prouve la volte face de Clément V contre les accusateurs des Templiers en "absolvant", en quelque sorte, ces derniers de leurs présumés crimes.

On ne saurait douter de l’authenticité du document appelé « Parchemin de Chinon ». Or, les circonstances de cette trouvaille paraissent bien aléatoires, voire douteuses, au regard de ce qui va suivre. Les contacts que j’avais pris avec le secrétariat des Archives Secrètes du Vatican dès 2006 ont semé le trouble dans mon esprit. Contacts pris alors que je travaillais à l’écriture de mon livre « Gisors ou la Chronique Vulcaine ».

 

Les Templiers sont parmi nous


Mon enquête était déjà bien avancée quand il me fallut décortiquer les justificatifs publiés par Gérard de Sède dans son ouvrage « Les Templiers sont parmi nous ».

En 1962, il fut le premier à révéler un témoignage, jugé capital dans la quête du trésor des Templiers, retrouvé paraît-il dans les archives de Clément v.

D’après les aveux du Templier Jean de Châlon, du temple de Nemours,  trois chariots sous la conduite d’Hugues de Châlon et de Gérard de Villers, remplis des biens de l’Ordre, partirent de Paris la veille de leur arrestation pour une destination inconnue. Dans la mythologie templière les chariots auraient pris la route de Gisors. L’ennui est qu’il n’y a trace d’aucun chariot dans les divers interrogatoires. Les travaux des interprètes du procès des Templiers ont été manipulés.

Encore une fois ici, on ne saurait faire la part des choses objectivement. Quelle est la part de vrai ou de mystification ?

Pour étayer ses affirmations, G. de Sède ne site que trois sources principales sur le procès de l’Ordre, dont deux françaises et une allemande : Michelet, Raynouard et Schöttmuller. Il dit n’y avoir trouvé aucun relevé des interrogatoires de Clément v venu à Poitiers pour l’enquête vaticane.

Voici les faits. Pour faire bonne mesure avec les interrogatoires de Philippe le Bel, Clément v voulait avoir son mot à dire sur la conduite du procès. Le roi de France lui permit donc d’interroger soixante-douze chevaliers Templiers, triés sur le volet, ayant préalablement tous été passés à la question. La rencontre eut lieu à Poitiers en 1308. C’est à ce moment que Jean de Châlon aurait fait ses aveux.


 

Interrogatoires et contradictions

 

Toutes les assertions de G. Sède reposent sur une lettre de Clément v, dénichée à la BnF, dévoilant sa rencontre avec les soixante-douze Templiers.

Parchin de Chinon
- Parchemin de Chinon -
Sur la révision de la condamnation des Templiers en 1312

Il n’y a malheureusement rien d’exceptionnel dans cet épisode, car il est relaté par d’autres auteurs ayant écrit sur les Templiers : Ph. Grouvelle[2], M. Lavocat[3], H. Martin[4]. Tous sont très laconiques à ce sujet. Certains sont même contradictoires. Grouvelle de son côté prétend : « On ne connaît ni les noms, ni les aveux de ces soixante-douze Templiers que le pape dit avoir interrogé. Aucun procès-verbal ne fut rédigé ; il n’existe, à cet égard, que l’assertion du pape »[5]

Nous avons pu retrouver la lettre de Clément v, ou plus exactement une bulle[6] papale, dans laquelle il explique, entre autres, l’entrevue. En voici un extrait : « Croyant donc devoir procéder à l’examen de cette affaire, nous avons fait venir en notre présence plusieurs commandants, prêtres, chevaliers et autres frères de l’Ordre, et après serment prêté, nous avons interrogé jusqu’au nombre de soixante-douze en présence de plusieurs cardinaux et fait rédiger par arrêt leurs confessions en forme authentique ; puis quelques jours après, nous les avons fait lire au consistoire  devant les accusés, et les avons fait expliquer à chacun d’eux en sa langue vulgaire ; ils y ont persévéré et les ont approuvées »[7].  Ce sont les seules déclarations écrites de Clément v.

De l’avis de Grouvelle, on ne connaît ni les noms, ni le contenu de ces aveux. Cependant il existe bien un procès-verbal de son enquête à Poitiers. Il est déposé aux Archives Secrètes du Vatican sous la cote « A.A Arm. D 208, 209, 210 » (Archivum Arcis, Armarium D etc). Il fait partie de la liasse dans laquelle a été tiré étrangement, comme d’un chapeau de magicien en 2008, le fameux Parchemin de Chinon (cote A.A. Arm. D 218). Dans ce document Clément v absout les chefs de l’Ordre du Temple. Nous y reviendront.

G. de Sède nous affirme encore au sujet de sa pièce justificative : « Ce document figure aux archives secrètes du Vatican sous la cote - Register Aven. N°48 Benedicti XII, tome I, fol.448-451 ». Il en produisit un fac-similé dans son livre « Les Templiers sont parmi nous ». Et d’ajouter que le R. P. Augustin Theiner[8], directeur des archives vaticanes en 1867, disait pourtant qu’aucune copie du procès des Templiers ne se trouvait ni à la bibliothèque, ni dans les archives secrètes du Saint-Siège.

Est-ce une erreur ou une confusion ? Car nous savons par un auteur plus récent, Giorgo Perrini, que, selon une note établie par le père Theiner le 7 décembre 1867, la bibliothèque vaticane possède une enquête officielle, faite sur l’ordre de Clément v, en l’église Saint-Gilles de Florence, par l’archevêque de Pise et l’évêque de Florence, contre les Templiers de Toscane, en 1310. Du reste, cette enquête serait très aggravante pour l’Ordre[9]. L’original est gardé à la Vaticane[10].

 

 

Des archives manipulées

 

Plus graves sont certainement les blancs et troncatures, les ratures, les notes marginales faites sur les registres du procès des Templiers[11]. Ces opérations se firent solennellement lors du Concile de Vienne en 1311. Combien de pièces de ce dossier ont-elles été ainsi abrogées ? Nous devons convenir d’une falsification manifeste du clergé romain au Moyen Âge. Ajoutée aux contemporaines, la tâche est des plus complexes à gérer.

Les pontifes romains ont toujours connu le secret[12]. Clément v lui-même n’avait mis aucun art à le dissimiler. La monarchie française réagit par un véritable chantage, qui contraignit le pape à un compromis ambigu. Ne pouvant s’opposer à la volonté du roi Philippe le Bel qui réclamait l’élimination de l’Ordre des Templiers, le pape fit sortir l’ordre de la réalité concrète, sans pour autant le condamner ou l’abolir, mais plutôt en l’isolant dans une sorte d’hibernation[13] par une habile utilisation du droit canon. 

Le pape finit par reconnaître son erreur. Dans sa bulle « Considerantes dudum » du 14 mai 1312 (2e des nones), quelques jours après avoir publié la bulle d’abolition de l’Ordre, il avouera que l’ensemble des informations recueillies contre les Templiers, dans toute la chrétienté, n’offrait pas de preuves suffisantes pour asseoir leur culpabilité. Il se bornera à prétendre qu’il en résulte une grande suspicion et déclarera ne pas avoir eu le droit de prononcer une sentence définitive. Cette pièce a été déposée aux archives du Vatican[14], comme de nombreuses autres. Parmi celles-ci nous relèverons une copie de la procédure commencée en 1309 par la commission papale contre l’Ordre des Templiers et terminée le 5 juin 1311. L’acte forme un très grand rouleau de parchemin, endommagé en plusieurs endroits et illisible au début[15]. Un second exemplaire de cet acte passa dans diverses bibliothèques dont celle de la famille de harlay[16], puis à la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés.

Extrait de l'interrogatoire de Jean de Châlon
Extrait de l'interrogatoire
de Jean de Châlon, à Poitiers en 1308

 

Le témoignage de Jean de Châlon

 

Alors, pourquoi G. de Sède relate-t-il des propos du père Theiner paraissant être complètement faux ? A contrario, la cote de l’archive présentée par l’auteur est authentique. Nous l’avons vérifiée auprès des services du Vatican[17]. Le document se compose de quatre feuillets dont la cote complète est « Registrum avenioniense 48 benedicti XII ff.448-451 ». Il fut publié en 1907 par Heinrich Finke dans son ouvrage « Papsttum und untergang des Templerordens »[18]. Par conséquent, nous devons mettre en exergue une probable manipulation de G. de Sède par les zélateurs du Prieuré de Sion.

Dans cet acte, dont nous produisons le texte latin de Finke [en téléchargement], Jean de Châlon apparaît sous son patronyme latin. Les trois chariots n’existent pas. Selon ses aveux, nous devons cependant admettre que plusieurs chevaliers s’enfuirent avec deux cent cinquante chevaux et auraient pris la mer avec tout leur trésor embarqué sur dix-huit navires.

Croyant sans doute contrer certaines explications simplistes G. de Sède a tout simplement remplacé les chevaux par des chariots. Le témoignage de J. de Châlon n’en reste pas moins suspect quant à la destination finale du précieux chargement. Envoya-t-il ses bourreaux sur une fausse piste ?

 

Absolution des Templiers

 

Courriel du secrétariat des Archives Secrètes du Vatican
Courriel du Secrétariat des Archives Secrètes du Vatican,
fév. 2006 (traduit en français)

Une remarque cependant, après notre intervention écrite à la Vaticane en février 2007, notre demande d’informations ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd (ou d’une sourde). Nos références relatives au Reg. Aven. 48 et aux soixante-douze Templiers furent publiées dans diverses publications « grand public » dont le magazine Historia, livraison de septembre 2008. Voyez la réponse (ci-contre) de leur secrétariat prouvant nos affirmations.

Puis il y a peu de temps, à l’occasion de la commémoration du 7e centenaire de l’abolition de l’Ordre, on reparla dans la presse du Parchemin de Chinon : « d’une découverte exceptionnelle due aux archivistes du Vatican »... (???)

La manne documentaire réunie dans notre ouvrage[19], et dans le Mercure de Gaillon, démontre qu’il n’est pas nécessaire d’être universitaire[20] ou archiviste au Vatican pour trouver des documents intéressants et d’en donner une interprétation valide, au risque de se faire griller la politesse. Mais dans ce domaine où la trahison, même au Vatican, à force de loi, les archivistes semblent avoir oubliés la bulle « Considerantes dudum » du 14 mai 1312, seconde preuve que le Mercure de Gaillon relève[21], s’il ne la révèle, en faveur de l’absolution de l’Ordre du Temple. Cela prouve indubitablement que l’Ordre du Temple fut mis en sommeil et non aboli comme l’a toujours laissé penser l’histoire officielle... Non nobis, non nobis domine sed Nomini Tuo da gloriam...



Documents et pièces justificatives


Les Templiers sont parmi nous, G de Sède, Ed. Julliard, 1962.
Parchemin de Chinon : sur la révision de la condamnation des Templier en 1312.
Extrait de l'interrogatoire de Jean de Châlon, à Poitiers en 1308.
Intégral de l'interrogatoire de Jean de Châlon, à Poitiers en 1308 (texte latin complet dans le FANUM II - ARCHIVES de l'Ordre des TEMPLIERS).
Courriel du Secrétariat des Archives Secrètes du Vatican, fév. 2007 (traduit en français)

Documents du dossier

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Th. Garnier


Remerciements particuliers à : A-M Lecordier

Extrait de « Gisors ou la Chronique Vulcaine » mai 2011.

Mis à jour : 05.01.2012

 



[1] En octobre 1311.

[2] Mémoires historiques sur les Templiers, par Philippe Antoine Grouvelle, libr. F. Buisson, Paris, 1805, p.LXX.

[3] Procès des frères de l’ordre du Temple, par M. Lavocat, libr. Plon-Nourrit, Paris, 1888, p.165.

[4] Histoire de France, depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, T.IV, par Henri Martin, éd. Furne, p.480.

[5] Op.cit. p. XXXVII.

[6] Bulle « Regnans in coelis », cf. : Histoire de la papauté pendant le  XIVe siècle avec des notes et des pièces justificatives, par Jean-Baptiste Christophe, p.254.

[7] Histoire des papes depuis saint Pierre jusqu'à nos jours, T.III,  par François Louis Charles Amédée d'Hertault comte de Beaufort, libr. Catholique de Périsse Frères, Paris, Lyon, 1841, p.377.

[8] Ancien père jésuite, vers 1833 Augustin Theiner avait pour ami et médecin personnel Fabré-Palaprat. Cf. L’ami de la religion, T.159, impr. H.V. de Surcy, Paris, p.174.

[9] Les aveux des Templiers, par Giorgio Perrini, éd Jean de Bonnot, Paris, 1992, p.364.

[10] In  Codex Vaticanus 4011.

[11] Monuments Historiques, relatifs à la condamnation des Chevaliers du Temple et à l'abolition de leur Ordre F. Raynouard, 1813, p.190.

[12] Op. cit. Raynouard, p.194.

[13]  Information provenant directement du site Internet des archives secrètes du Vatican. http://asv.vatican.va. Dernière consultation 27.11.2006.

[14] Archives secrètes du Vatican : Regestrum anni VII domini Clementis papae V litterarum de curia, litt XXXI.

[15] Op. cit. F. Raynouard, p.311.

[16] Sous le n°329, dans le catalogue de Harlay.

[17] Courriel du 09.02.07 au secrétaire des Archives du Vatican.

[18] « La papauté et la ruine du Temple ». Ouvrage allemand, vol.2, p. 329-340.

[19] Gisors ou la Chronique Vucaine, Th. Garnier, M2G Editions, 2011 (épuisé).

[20] Les Templiers, enfin toute la vérité sur le rôle du pape, par Barbara Frale, docteur de l’université de Venise, in Historia sept. 2008. L’auteur travaille aux archives du Vatican.

[21] Op. cit. F. Raynouard, p.194.