Dans les couloirs de la D.M
Part.2 - Notice historique sur la bibliothèque
du Château de Gaillon

Les richesses du proconsul

 

Les bibliothécaires de la Chartreuse conservaient, par ailleurs, les médailles d'or frappées pour le règne de Charles X (Charles de Bourbon-Vendôme, archevêque de Rouen), roi de la Ligue. Sur l'avers on pouvait lire "Carolus D.G Francorum Rex, 1592*A*" et sur le revers "Christus regnat vincit et imperat" (Voir le document numismatique joint). Nous reconnaîtrons en cette sentence, une partie de l'épigraphe gravée sur le calvaire érigé par Bérenger Saunière dans le jardin de l'église de Rennes-le-Château. Ces médailles de la discorde, in robore fortuna, dont le prieur Dorothée Aubourg fut le dernier gardien, ont résisté aux danses macabres de la Révolution. Elles nous donnent rendez-vous maintenant en d'autres lieux… dans l'Eure… tic! tac! tic! tac !

Et le facteur x de l’équation s’en trouve en partie résolu. C’est un travail d’archéologie littéraire que nous produisons. Entassée sous des tonnes de poussière et l’enduit imperméable d’un obscurantisme politique et religieux qui a toujours cours, nous retrouvons petit à petit la quintessence d’une histoire oubliée. Il nous a fallu pas moins de six années pour y arriver (1999-2004). La philologie est aussi une science exacte. L’étude de ces vieux documents est époustouflante.

Les destins des bibliothèques du château[1] et de la Chartreuse furent étroitement liés. A la mort de Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, la librairie du château ne comptait que 195 volumes tant imprimés que manuscrits. La Bibliothèque nationale possède un assez grand nombre de manuscrits provenant de la collection formée dans le Château de Gaillon, au début du XVIe siècle, par les soins du cardinal d’Amboise, plus philosophe qu'homme politique comme aime à nous le rappeler Alexandre Lenoir. Les manuscrits sont tous ornés des armes de la famille d’Amboise : "De Gueules à six palles d'or". Léopold Delisle a raconté l’histoire de cette bibliothèque[2].

 

Georges d’Amboise

Dans son testament du 31 octobre 1509, Georges d’Amboise légua ses manuscrits français à son petit-neveu qui les fit transporter dans la demeure familiale de Chaumont-sur-Loire. Les manuscrits latins, parmi lesquels une bible de saint Louis d’une valeur inestimable, selon A. Deville (cf, Comptes de Dépenses de la construction du château de Gaillon), revinrent à ses successeurs sur le siège archiépiscopal Rouennais, dont Georges d’Amboise deuxième du nom, son petit neveu.

Comme l’indique l’inventaire de 1550, l’ensemble de ces manuscrits latins semble demeurer à Gaillon. Jusqu’au ministère de Charles Ier de Bourbon-Vendôme, fondateur de la Chartreuse couronné roi de France (Charles X) par la Ligue en 1589, durant trois mois, la librairie semble avoir été totalement négligée. Charles II ne maintint à Gaillon que peu de temps la collection constituée par Georges d’Amboise. Il combla le vide et y redonna un lustre nouveau en faisant travailler de nombreux calligraphes à la rédaction de nouveaux ouvrages, valant les manuscrits de Georges d’Amboise. Beaucoup d’entre eux portent la mention « 1593 Gaillon ». L. Delisle constate bien la présence en 1593, au château de Gaillon, d’un certain nombre de ces manuscrits. Il les retrouve dans le cabinet du roi avant la fin du règne d’Henri IV. On ignore ce qu’il advint dans l’intervalle.

Quels étaient les motifs de ce transfert et le type de transaction qui eut lieu ? Toutes les hypothèses étaient permises en présence du silence des textes. Il y a là dans l’histoire d’une collection célèbre, et à un moment particulièrement intéressant de l’Histoire de France, une lacune de plusieurs années. Cependant des lettres patentes du 4 février 1595 éclairent ce point de vue. Elles révèlent incidemment les circonstances qui expliquent l’entrée des manuscrits de Gaillon dans la bibliothèque du roi.

Charles Ier de Bourbon-Vendôme

Le cardinal Charles III de Bourbon ne montra aucun intérêt pour ces manuscrits de son vivant. Après son décès en 1594 à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, possession des Bourbon-Vendôme où l’on édifia en 1646 l’église Saint-Sulpice, Henri IV qui voulait déjà du vivant de son demi-frère faire main basse sur le domaine gaillonnais, disposa des biens meubles du défunt. Il en donna un certain nombre, s’en réserva la meilleure part, non sans les avoir au préalable fait expertiser. Les meubles trouvés au château de Gaillon, estimés à 15 065 écus, prirent le chemin du Louvre comme les biens meubles laissés à Saint-Germain-des-Prés. Parmi ces derniers, estimés à environ 3 290 écus, figuraient les livres du cardinal d’Amboise. Un nouveau morcellement de sa bibliothèque intervint sans doute à ce moment, quand les onze manuscrits de Venceslas Crispus, datant de 1478 à 1493, et quelques autres furent aliénés à la bibliothèque de la Chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon.

C’est le sieur de Langle, mentionné dans les lettres patentes, "ayant charge des livres du cabinet du Roi" qui fut saisi du transfert au Louvre. Le bibliothécaire les transporta "pour le service et usage de Sa Majesté". C’est ainsi que les débris de la collection de Gaillon entrèrent, environ six mois après la mort de Charles III de Bourbon, non pas dans la bibliothèque du roi, alors conservée au collège de Clermont, mais dans la collection du Louvre à l’usage du roi.

En s’attribuant de la sorte cette bibliothèque, Henri IV ne voulait pas frustrer les héritiers de son demi-frère. Il contractait envers eux une dette dont il ne put s’acquitter avant plusieurs années, vu l’état des finances royales.

Le 12 mars 1605, un arrêt du Conseil d’Etat abandonna aux créanciers de la succession une somme de 55 059 livres 18 sols et 6 deniers. C’était l’intégralité du prix des meubles et livres transportés au Louvre. Le seul qui semblait lésé dans l’affaire pouvait être l’archevêché de Rouen.

 

Les bijoux de l?impératrice

 

Le rédacteur du cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque Impériale souligne que le fonds principal de cette collection se composait de volumes provenant de la bibliothèque de Frédéric III, roi de Naples. Ces ouvrages, restes d’une des plus riches bibliothèques du XVe siècle formées sous les bons auspices des rois aragonais dont Alphonse le Magnanime, furent rachetés par G. d’Amboise vers 1501.

Dès son arrivée au château de Gaillon le Cardinal G. d’Amboise fit venir 12 écrivains et copistes : Pierre Delapoterne, Pierre Giraud, Jehan Hunin, Jehan Langlois Anglici, Guillaume et Michel Leroux, Pierre Permetot, Breton Raulet, Nicolle, Nicolay, Leboucher et Boyvin. Six enlumineurs eurent la charge des ouvrages : Robert Boyvin, Etienne Dumonstier, Nicolas Hiesse, Jehan Pichore, Jehan Serpin, et Denis. Quatre relieurs, Hector Dauberville, Guillaume Gallet, Guillaume Ledelyé et Denis, parachevaient le travail. Tous s’attelèrent à la constitution de la bibliothèque qui devait susciter plus tard tant de convoitise.

Extrait du manuscrit:
"Les Antiquités juives"
Flavius Joseph
-(bibliothèque mazarine)

Ces ouvrages que l’on n’a pas lus pincent la curiosité. Parmi les 138 manuscrits dignes d’intérêt nous avons relevé ces quelques titres :

·        Les antiquités Juives - Flavius Josèphe (ci-contre bibliothèque Mazarine)

·        Les guerres juives - Flavius Josèphe

·        Le grand livre de Valère.

·        Les oraisons de Cicéron.

·        Epîtres de St Jherome.

·        De constitutionibus.

·        De civitae dei (la cité de Dieu) - St Augustin.

·        Epîtres de St Pol[3].

·        Les triomphes de Rome.

·        Epîtres de Sénèque.

·        Albertus Cattaneus. (Sur les origines Troyennes de la dynastie royale de France)

·        Méditations de St Bonaventure.

·        Les miracles de Notre-Dame.

·        Oraison de la réduction de Milan.

·        Compendiosus sermo de indulgentia pleneria.

·        La Bible en 2 volumes.

·        Sans titre, "Incipit sermo Heronymi presbiteri ad Paulum".

·        De bello Macedonico (Les guerres macédoniennes), 2 T.

·        De bello punico (les guerres puniques) - Titus Livius.Ad urbe condita - Titus Livius.

·        De bello Gallico (la guerre de Gaule) - Cayus Julius Cesar.

·        De situ orbi (la situation du Monde) - Strabon.

·        La Mer des histoires.

 

Plus étonnant sont les 300 autres ouvrages inventoriés par L. Delisle. A. Deville n’a pas cru bon de mentionner. Parmi ceux-ci :

·        Traité d’Aristote sur les météores.

·        La légende dorée de Jacques de Voragine.

·        Le traité sur le ciel et le Monde d’Albert le Grand

·        Commentaire sur le traité du ciel et du Monde.

·        Traité de dialectique.

·        Histoire naturelle de Pline.

·        Divers traités de médecine.

·        Traités médicaux de Jean, fils de Sérapion.

·        Commentaire de Syllanus de Nigris sur Almanzor.

·        Glossaire médical de Simon de Gênes.

·        Traités médicaux de Nicolas de Florence.

·        Chirurgie de maître Pierre de Largilata.

·        Traité d’Alchimie d'Arnauld de Villeneuve

·        Tables astronomiques de Jean Blanchin.

·        Traités d’astronomie et d’astrologie.

·        Les métamorphoses d’Ovide.

·        Etymologies d’Isidore.

·        Le Pentateuque.

·        Secret des secrets d’Aristote.

·        La fleur des histoires - Montrelets.

·        Le Décaméron - Bocasse.

·        L’histoire de Troie

·        L’historie de Florence

·        L’origine des Lombards

·        Les stratagèmes de Frontin

·        Traité sur la division de la Gaule



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La dilapidation du cabinet de lecture gaillonnais était consommée à l’arrivée de François de Joyeuse en 1604. Il se chargea lui-même de recomposer la splendeur des rayonnages. La dispersion ou destruction de cette librairie lui donna l’occasion d’être le premier à faire imprimer ses documents à Gaillon et à restaurer la bibliothèque. En 1607, Martin Vérac fut assigné à la charge d’imprimeur du cardinal de Joyeuse. Outre les volumes relevés dans l'inventaire de M. Bréauté, des presses gaillonnaises sortirent, "Instruction de Mgr l’illustrissime et révérendissime Cardinal de Joyeuse archevêque de Rouen, servant aux archidiacres et visiteurs des l’Eglises de son diocèse" aux armes des De Joyeuse.

 

Mgr Harlay de Chanvallon ajusta cette bibliothèque comptabilisant prés de 13 000 volumes imprimés pour la plupart à Gaillon entre 1630 et 1645. Il en fit don au chapitre de Rouen, estimée à 40 000 livres tournois. Cet érudit, passionné des sciences et des lettres, s'efforça d'attirer à Gaillon beaucoup de savants en leur ouvrant les portes de l'académie Saint-Paul, installée au château, et en prenant une part active à leurs travaux. Tracassé par le Parlement et entraîné par l'amour des lettres et la passion de la controverse, il décida d'installer une imprimerie assez particulière au château, dont il donna la direction à Henri Estienne troisième du nom. Cette imprimerie fonctionna assez longtemps et nous lui devons quelques pièces curieuses. La plus ancienne date de 1639. Il fit aussi éditer une collection de chroniques qui reçut de lui le titre de Mercure de Gaillon

La révolution de 1789 fut néfaste pour le monastère de la Chartreuse et le château. Un inventaire en fut dressé le 27 février 1790. Dans les articles 39 et 91 de cet inventaire il est fait mention des 6 345 ouvrages que contenait la bibliothèque des religieux de Gaillon : 1 638 volumes in-folio, 1 045 volumes in-quarto, 2 637 in-douze et 1 025 volumes in-seize. Cette librairie qui aurait dû être versée à la ville de Louviers fut disséminée. Quelques livres de Georges d’Amboise furent déposés à la bibliothèque nationale, d’autres à la bibliothèque Mazarine.

 

A suivre...







Voir aussi

Livre épuisé

 

Thierry Garnier


Mis à jour le 09.12.07 - Extrait de Mémoires des deux cités, T.I et T.II
Adapté, revu et augmenté pour le réseau

Remerciements particuliers à : A-M Lecordier

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[1] Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 1886, p.52 et suivantes.

[2] Le cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque Impériale, T.I, L. V. Delisle, Paris, 1868-1881, p.217

[3] Il s’agit peut-être d’un fragment du Codex Claromontanus second partie d’un manuscrit composant à l’origine un ouvrage complet avec le Codex Bezae.