La première porte
Les méandres du mystérieux sont parfois impénétrables et souvent inattendus. L’attention du public s’est focalisée depuis une quarantaine d’année autour des mystères des villages comme Gisors, Stenay, Rennes-le-Château, etc…, attisée par une littérature féconde, sans avoir la moindre idée de ce qui pouvait se tramer ailleurs. Au cours d’un premier voyage à Rennes le Château «RLC »
en juin 1999, une bonne fortune nous fit acquérir le livre de P. Ferté. Nous
devons bien l’avouer dès maintenant; si nous n’avions pas effectué ce
déplacement, nous n’aurions sans doute jamais pris autant d’intérêt et de
plaisir à investiguer sur la place de Gaillon. Sans cette première étude, notre
livre, « Mémoires des deux cités », n’aurait sans doute jamais
vu le jour.
Mais que venait donc faire Gaillon dans cette
galère? On aurait peine à se le demander quand P. Ferté titrait dans son livre
«de Gaillon à Rennes» (RLC) ou « Gaillon, clé secrète du triangle d’or »; la
clé d’un coffre, enveloppée dans un voile de mystère jetée dans un puits situé
au fond d’un parc. Aux quatre coins cardinauxDans cette première partie de « Mémoire des
deux cités », si nous avons choisi de raconter l’histoire de Gaillon
sans aborder directement l’affaire RLC, c’est pour permettre au lecteur de ne
pas se perdre en conjecture en lui apportant une base historique solide et
vérifiable quand il s’attaquera à la lecture du second volume. Ce que nous
avons découvert au cours de notre enquête est si stupéfiant que cela imposait
une rigueur sans équivoque. Notre objectif premier fut tout d’abord de contrôler
les affirmations de P. Ferté. Celui-ci avait écrit qu’un grand nombre
d’archevêques de Rouen avaient séjourné entre Normandie et
Languedoc-Roussillon. Après
vérification, il s’avère en effet qu’environ 70% des archevêques de Rouen ont
fait la navette entre le Midi de la France et Rouen; cela depuis 1262 jusqu’à
l’accession au siège archiépiscopal rouennais de Msg
de Bonnechose en 1858. Cette affaire porte l’empreinte indélébile des
cathares et des templiers; 1262 marque la fin de la croisade albigeoise. Avant
cette date nous ne constatons aucune mutation de postes archiépiscopaux entre
la Normandie et le Midi. Puis tout change. Pendant 500 ans, Gaillon et son
château restèrent entre les mains des archevêques de Rouen. 37 prélats se
succédèrent sur le trône archiépiscopal rouennais jusqu’à la Révolution de
1789. Msg de Bonnechose
fait exception; c’est l’exception qui confirme la règle. Ces 37 archevêques se
répartissaient en 29 familles. De ces 29 familles, 21 ont eu un ecclésiastique
en Normandie et en Languedoc. Mémoires des deux cités (T1) se
centralisera donc sur la partie historique de la ville de Gaillon, avant de
découvrir tout le mystère qui l’entoure et ses liens avec Rennes-le-Château,
Rennes-les-Bains. Pour ne citer que quelques archevêques, voyez les
biographies du Cardinal François de Joyeuse, Charles de Bourbon-Vendôme, George
d’Amboise, Guillaume de Flavacourt, Louis d’Harcourt, Bernard de Fargis,
Guillaume Aycelin de Montaigu, Guillaume de Durfort. Tous ont parcouru la
France de Haut en Bas et de Bas en Haut… pourquoi? On
constate ainsi qu’une coterie de prélats ayant séjourné entre Normandie et
Languedoc, des ecclésiastiques affiliés à des sociétés secrètes oeuvrèrent à la
dissimulation de secrets. Des structures parallèles encore plus discrètes
évoluant dans les milieux religieux et laïcs sont peu à peu mises au jour.
Chartreux & CieLe
décryptage de P. Ferté, par le truchement de la langue des oiseaux, a soulevé
un lièvre. Nous nous sommes permis de le rattraper avant qu’il ne nous file
entre les doigts. Dès lors, Dorothée danseuse de cordes, nantie d’une
médaille, «in robore fortunat», nous introduit
dans la Chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon, anti-chambre de la Demeure
Mystérieuse. Son élixir de résurrection au goût de chartreuse verte a fait
ressurgir certaines vérités que quelques personnes bien attentionnées avaient
cru bon de devoir dissimuler… jusqu’au 12 juin 1921 au château de Perillac ou
dans un traité de Gaillon… Périlleux !
D’autres personnages cités en filigrane dans l’œuvre
de M. Leblanc sont venus se réfugier à la Chartreuse de Gaillon: J.F.
Marmontel, l’académicien, fuyant la
Terreur ; Vigneul-Marville, dit Bonaventure d’Argonne
(Nom de Dorothée dans le roman et diseuse de bonne aventure), en disgrâce, se
retira à Gaillon. Il avait eu la mauvaise idée de critiquer la compagnie du
Saint-Sacrement. C’était un très bon ami de N. Poussin tout comme Jean Lemaire
qui fut son bras droit, d'où son surnom. Il fit de nombreux voyages entre Paris
et Rome avant de s'établir définitivement à Gaillon. Il finit ses jours en
l'année 1659 et fut enterré dans la Chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon dont la
construction fut ordonnée par Charles 1er de Bourbon, archevêque de Rouen.
Autre connaissance de Poussin ayant séjourné à la Chartreuse: Eustache
Lessueur, qui était un de ses élèves et
mourut aussi à Gaillon. Lessueur avait peint la série
des 22 tableaux représentant la vie de Saint-Bruno,
pour la grand Chartreuse de Paris. Des personnages clésLe plus étonnant est de retrouver une foule de personnages
emblématiques à Gaillon, à RLC ou alentours. Une multitude de personnes
fourmillent; Saint Vincent de Paul, Charles Nodier, Alexandre Lenoir et la
famille Hautpoul, Msg de Bonnechose, Msg Billard, Viollet-Leduc et même Saint
Antoine l’Ermite. Au gré des lectures lupinniennes nous découvrirons, au détour d’une page du triangle d’or, une
mention spéciale au journal de Benjamin Franklin, F.°.M « logé » chez les
neuf sœurs, dans lequel il fait part de son voyage à Gaillon le 14 juillet
1785 et de sa rencontre avec Msg de la Rochefoucault dont la famille, ne
l’oublions pas, possédait la baronnie d’Arques dans l’Aude. Nicolas Filleul ou Jean Joconde (Fra Giocondo) dans
l’aiguille creuse sont encore de ces personnages,
faisant le lien entre Gaillon et RLC, soumis à notre perspicacité par M.
Leblanc
Le Château de Gaillon a, dans beaucoup de ses aspects,
quelque chose de la Joconde. Bien que de nombreux historiens soient en
désaccord sur ce point, de nombreuses chroniques gaillonnaises rapportent, dès
1850, que Jean Joconde, moine dominicain, fut l’un des architectes participant
à l’édification du château de Gaillon. S’il ne fut sur le terrain, il eut
l’occasion de mettre sa touche personnelle au plan du château. Les lignes harmonieuses du château de Gaillon ne sont
pas le fruit du hasard ou dues au coup d'oeil juste. Elles naissent
nécessairement de la Divine Proportion, pratiquée avec science par Fra
Giocondo, Jean Juste de Tour et les autres architectes ayant oeuvré à Gaillon.
Il en résulte une approche nouvelle faisant de ce château Renaissance un «Nouveau
Temple» plus qu’un Palais de plaisance archiépiscopal. Le
château de Gaillon apparaît comme un de ces châteaux alchimiques, une de ces
demeures philosophales (D.M) oubliées de Fulcanelli. Le visiteur profane ne
s’attardera pas sur des débris de sculptures étant pour lui dénués de sens.
Mais parmi les vestiges architecturaux que nous avons recensé (escargots,
feuilles de chêne et glands, coquilles, griffons, roues, vouivre, chat, sirène,
lapin, spirales, labyrinthe etc…), la symbolique la plus représentative est
gravée dans un bas-relief, autrefois disposé dans la chapelle haute,
aujourd’hui exposé au musée du Louvre; Saint Georges terrassant le Dragon.
Le langage initiatique des alchimistes défini l’acte de terrasser un dragon
ailé comme une manière de maîtriser ou matérialiser une
substance ignée, spirituelle ou potentielle. C’est une phase du Grand Œuvre. La Clé du mystère Depuis
notre retour du pays d’Oc en cet été 1999, nous tentions inexorablement de
rattacher les indices exhumés par P. Ferté. Par un beau dimanche ensoleillé, au
gré d’une promenade au château de Gaillon, rien ne pouvait présager de ce que
nous allions découvrir. Un fabuleux concours de circonstances allait amorcer,
pour nous, la plus inconcevable quête. Un
commencement de piste se présentait. Le château était ouvert au
public. Une exposition permanente située dans les étages du pavillon d’entrée
donnait un aperçu des dispositions primitives du palais Renaissance. Au premier
étage, une série de clichés photographiques montrait l’état du château actuel
et les restaurations en cours. Plus loin, des plans et des gravures d’époques
dessinés par l’architecte Androuet du Cerceau (1572), tapissaient les murailles
de pierres. C’est
là, dans le fond de cette pièce que nous trouvions cette gravure représentant
un parc, un pavillon et des pièces d’eau. Les créateurs des jardins du château
avaient attribué le nom du Lydieu à
cet endroit dans lequel avait été construit une Maison Blanche. Ce nom se
réfère à un thème abordé dans la seconde églogue des Théâtres de Gaillon à
la Reine, de Nicolas Filleul, où deux bergers d’Arcadie, Damis et
Mospe, échangent leurs états d’âmes sur la piété et la justice qu’incarnaient,
vêtus de blanc, Paris et Apollon. Les effigies des bergers d’Arcadie sur leur
piédestal étaient représentées une clé
en main. Les
particularités de ce parc allaient nous plonger dans un abîme de trouvailles
époustouflantes faisant de nous une
machine à explorer le temps et de cette clé,
car la forme générale de ce parc était belle et bien une clé avec sa serrure formée par un bassin d’agrément où nageaient des cygnes (comprendre, langue des
oiseaux oblige: des signes) :
l’objet de toutes nos attentions. Il
y avait bien là des signes de pistes.
Il ne tenait qu’à nous de poursuivre nos investigations selon la méthode
d’Isidore Beautrelet, étudiant âgé de 17
ans dans l’Aiguille creuse, en
fouillant dans les chroniques locales, les recueils, interrogeant les érudits
locaux, les amateurs de vieilles légendes et enfin en dénichant la première
publication concernant Gaillon : Compte de dépenses de la
construction du Château de Gaillon
d’Achille Deville, un diable d’homme,
membre de l’Académie des Inscriptions et
belles-lettres, véritable clone de
Mr Massiban/Lupin (historien dans l’Aiguille creuse). Mais l’arrivée de Beautrelet à Gaillon nous réserva bien
d’autres surprises. Cette
clé, emblème maçonnique du Maître ou du Trésorier, le Joyau de l’officiant, allait
donc nous ouvrir une porte… que dis-je!... LA PORTE; la porte de la Demeure
Mystérieuse. Outre le titre d’une des aventures de Maurice Leblanc, la
Demeure Mystérieuse était sans conteste le Palais archiépiscopal des
archevêques de Rouen, le susnommé Château de Gaillon. Thierry Garnier
©Le
Mercure de Gaillon, Thierry Garnier – 17 Janvier 2005. Tous
droits réservés.
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